Messe du 17e dimanche ordinaire

 

HomélieMesse du 17e dimanche ordinaire

 

Père Jean-René Fracheboud, au Foyer de Charité, Bex, le 27 juillet 2003.

Lectures bibliques : 2 Rois 4, 42-44; Ephésiens 4, 1-6; Jean 6, 1-15

Seigneuriale, cette scène d’Evangile ! Seigneuriale, l’attitude de Jésus qui entraîne ses disciples et la foule dans une pâque de lumière. Jésus était passé de l’autre côté du lac de Tibériade ! Seigneurial, l’amour passionné du Christ qui veut à tout prix nourrir la foule alors même qu’on est en plein désert.

Il faut se rappeler le contexte, c’était l’Evangile de dimanche dernier. Les disciples reviennent de mission chargés d’un vécu impressionnant, chargés d’émotions, chargés de questions. Et Jésus leur dit : Venez à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu. Délicatesse du Maître qui pense au nécessaire ressourcement de ses disciples fatigués. De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger. Jésus, saisi aux entrailles, par l’errance de la foule – cette foule qui ressemble à des brebis sans berger – se met à la nourrir d’abord par un long enseignement puis aujourd’hui par la multiplication des pains.

Jésus est en train de former ses disciples… Il leur fait faire un véritable noviciat. Il dit à Philippe : Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? Il disait cela pour les mettre à l’épreuve, car lui-même savait ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain.

Ce qui doit s’imprimer dans le coeur des disciples, c’est la volonté farouche et persistante du Christ de vouloir nourrir la foule, alors qu’il n’y a pas de possibilité humaine de le faire; on est dans un endroit désert !

Il y a un creux, une béance au coeur de l’homme qu’aucune réalité humaine ne peut combler, ni l’argent, ni le pouvoir, ni les honneurs.

Jésus vient, c’est le sens de toute l’incarnation, pour combler ce creux, cette faim, cette soif inscrits dans les profondeurs de l’humain.

L’impossible humain devient le lieu du possible de Dieu, non dans une magie illusoire mais dans la foi au Fils de Dieu. C’est tout le drame de la nature humaine, infinie dans son désir et si limitée dans ses possibilités.

C’est au carrefour de ces deux évidences que se situe l’offre bouleversante de l’Evangile comme si Jésus nous disait : Je suis avide de combler le vide qui t’habite. Fais-toi capacité, je me ferai torrent; fais-toi accueil, je me ferai présence. Bienfaisante lucidité qui ne masque pas les appétits de vivre par des gadgets, des futilités, par la fascination usante de nos bagatelles.

Le texte rebondit par la remarque d’André qui dit : Il y a là un jeune garçon qui a 5 pains et 2 poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! Dans ce désert, où il n’y a rien, il y a un petit quelque chose – 5 pains et 2 poissons – et de nouveau l’insistance sur la disproportion entre l’immensité de la foule et ce presque rien. 5 pains et 2 poissons, ce n’est rien mais c’est une semence. Jésus fait asseoir tout le monde par terre comme on met le grain en terre pour une fécondité insoupçonnée.

Je vois là la délicatesse du Christ qui ne vient jamais écraser l’humain, qui ne vient jamais mépriser la faiblesse humaine. Il ne fait pas les choses pour nous mais avec nous. Et nous rejoignons ici la portée merveilleuse de l’offertoire au coeur de nos Eucharisties.

Nous présentons au Seigneur un peu de pain, un peu de vin
– signe de notre humble et précieuse humanité,
– signe de nos engagements au service de la paix et de la justice… de la solidarité,
– signe de ce que nous entreprenons pour rendre la terre plus conforme aux attentes de Dieu,
– signe de notre métier de vivre.

Le Christ ne peut porter à l’infini de l’amour que ce que nous avons humblement commencé à humaniser. Ces 5 pains et ces 2 poissons sont si importants, parce qu’ils symbolisent la noblesse de ce que nous sommes et de ce que nous vivons : l’épaisseur fragile de notre vie visitée et transformée par l’amour du Christ. Le Christ n’est plus un à côté de la vie, Il est un en-dedans, portant à l’accomplissement et à la plénitude ce que nous commençons à réaliser.

Nous ne pouvons qu’être bouleversés par l’ingéniosité de l’amour du Christ qui transforme le presque rien en abondance, en surabondance. C’est toute la logique pascale de nos vies emportées dans le tourbillon de la résurrection, dilatées à la dimension infinie de Dieu. C’est tout autre chose que l’euphorie de la foule qui veut faire de Jésus son roi, tentation permanente de l’idolâtrie.

Dieu ne se laisse enfermer, ni dans des idées, ni dans des principes, ni dans des idéaux fussent-ils religieux, ni dans les rites, ni dans une morale. Il nous donne rendez-vous sur le chemin, dans le pas à pas du quotidien, dans l’affrontement des peines et des joies.

Puissions-nous cultiver à la fois l’accueil du don immense, le Pain multiplié, le Pain de vie, le Pain nourrissant, la manne céleste et à la fois l’appétit, la faim et la soif, le désir, la nostalgie…

J’aime à me souvenir des réflexions du père Monnier qui disait : Accepte-toi toi-même en ton inachèvement, en ton imperfection mais ne t’y établis pas. Cherche ton achèvement, ta perfection. Surveille ton désir, cultive l’ambition qui est désir de grandeur. Dieu ton Père te veut grand, divin, à son image… Ne te laisse pas mettre en prison, accepte des barrières à ta droite, à ta gauche, mais jamais devant toi, jamais devant ton ciel.

Oui, seigneuriale, cette page d’Evangile qui nous dit le goût de l’homme en nous disant le goût du pain !
Seigneurial, le don de Dieu que nous accueillons en particulier dans l’Eucharistie !
Seigneuriales, nos vies nourries de Dieu !

 

 

 

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