Messe du 17e dimanche du Temps ordinaire

 

Chanoine José Mittaz, à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, le 26 juillet 2009
Lectures bibliques : 2 Rois 4, 42-44; Ephésiens 4, 1-6; Jean 6, 1-15 – Année B


Quel beau geste de Jésus !

Nous l’avons tous en mémoire et souvent nous le résumons comme étant la multiplication des pains. Or vous l’avez entendu, à aucun moment on nous dit que le pain a été effectivement multiplié. En appelant ce récit la multiplication des pains, peut-être risquons-nous de ressembler à cette foule qui a gravi la montagne, sans penser à prendre un pique-nique : attendre que tout soit donné. Et au moment où tout lui est donné, puisque Jésus va partager le pain et le poisson – « ils en prirent autant qu’ils en voulaient » – voilà qu’ils vont faire de Jésus leur roi, entendez, leur vache à traire. Et souvent nous risquons peut-être nous aussi de nous laisser prendre à ce piège où nous attendons tout de l‘autre alors que pour recevoir, il nous faut apprendre à donner. Dans ce mouvement, cette dynamique du recevoir et du donner, il y a le partage qui fait vivre, il y a le partage qui rend Dieu présent.

Et pour cela il nous faut  oser vivre un double consentement. Un consentement non seulement à recevoir de l’autre le pain dont nous avons besoin, à recevoir de l’autre le réconfort dont nous avons besoin, à recevoir de l’autre l’écoute dont nous avons besoin mais il nous faut aussi apprendre à donner. A donner parfois même de notre indigence pour que nous ne nous laissions pas prendre par une société qui risque d’anesthésier tous nos désirs, tous nos besoins.
Parce que la vie devient fade lorsque la saveur n’est plus goûtée, la saveur d’un bon pain. Et qui goûte la saveur d’un bon pain ? Celui qui a faim.
Qui dans la page d’évangile de ce matin savoure le plus, le mieux le geste de Jésus ?
Eh bien c’est ce petit garçon ! Ce petit garçon qui a pensé à prendre son pique-nique en partant en montagne, ce petit garçon qui sait qu’il aura faim. Voilà sa grandeur.

Alors il fait ce qu’il peut avec ce qu’il sait : il prend ses 5 pains, il prends ses quelques poissons. Alors qu’il avait prévu son pique-nique, voilà qu’il est appelé à se dépouiller de son maigre pique-nique, de le confier entre les mains d’un autre pour nourrir une foule : Mon Dieu, il n’a pas de quoi nourrir cette foule…
Mais en remettant ces quelques pains et ses poissons entre les mains de Jésus, en remettant notre indigence et notre manière évangélique d’y répondre entre les mains de Jésus, cela peut nourrir des foules entières. Jésus prend en main ce qui fait notre vie et il pose un regard de bénédiction, et c’est ça qui multiplie la vie. C’est ce regard de bénédiction posé sur nos mains vides à l’intérieur desquelles peut-être il y a pour nous aussi quelque pain, quelque poisson qui fortifient notre marche. Et nous avons à découvrir que ce qui nous nourit réellement est appelé à nourrir une multitude.
 
Quel bouleversement pour cet enfant d’entendre, de prendre conscience que le fait qu’il avait prévu qu’il aurait besoin d’un pique-nique, qu’il était relié à sa faim allait pouvoir nourrir une foule entière. Il est relié à son désir qui ouvre à une générosité universelle grâce à la présence de Jésus, source de bénédiction : des 5 pains partagés, il en restera 12 corbeilles.
C’est la saveur de la générosité, celle qui commence par tendre 5 pains et 2 poissons et qui finit par nourrir une multitude plus vaste que ceux qui se sont rassemblés sur la montagne, car ces 12 corbeilles vont certainement être redistribuées, plus loin.

Aussi osons écouter en nous quelle est cette faim, quelle est cette soif. Osons sortir de l’anesthésie dans laquelle nous risquons peut-être parfois d’y être, tant nous avons de choses. Prenons de la distance par rapport à l’immédiateté de notre vie, prenons le chemin de la montagne, symboliquement ou concrètement pour éprouver qui nous sommes. Découvrir ce qu’il y a au fond de nous et peut-être demandons à Jésus de ne pas nous nourrir d’abord mais de nous révéler notre vraie faim.
Parce que dans cette page d’évangile, c’est Jésus qui prend toutes les initiatives, c’est lui qui à un moment donné dit à Philippe : « où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Personne n’avait faim apparemment, personne n’a pu exprimer son besoin de pain. C’est Jésus qui le fait, qui nous révèle nos vides, nos manques… pas pour mettre le doigt dessus, pas pour qu’on ait mal  mais pour qu’on vive ! Parce que ce qu’il nous faut découvrir, c’est qu’en posant un regard de bénédiction sur nos manques, sur ce qui est parfois éprouvant en nos existances,  eh bien il y a une force de vie à recevoir et à offrir.
Et voilà que les disciples sont mis devant leur manque, c’est à dire devant leur incapacité à nourrir cette foule « Mais le salaire de 200 journées ne suffirait pas »  et voilà qu’un des disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui regarde tout autour pour voir si quelqu’un a éventuellement de quoi manger. Et il ne trouve que 3 fois rien : ces 5 pains et ces 2 poissons.
Ces 3 fois rien, c’est parfois nos mains vides. Je nous invite, chacun personnellement, à oser ouvrir nos mains, à oser regarder notre vide afin que Jésus au travers de notre regard, puisse bénir notre vide et que notre vide devienne source de vie. Et je crois que cette expérience est exactement celle que vit saint Paul dans la 2ème lecture que nous avons entendue, saint Paul qui est en prison à cause du Seigneur. Quand on est en prison pour un motif injuste, on a peut-être besoin d’être réconforté, on a peut-être besoin de douceur pour que l’injustice ne nous oriente pas sur des chemins de violence.

Que fait l’apôtre ? Lui qui a besoin de douceur, eh bien il offre de la douceur. Lui qui a besoin d’être encouragé pour tenir, eh bien il offre un encouragement à sa chère communauté : «  je vous encourage à suivre fidèlement l’appel que vous avez reçu de Dieu. Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour ». Que fait Paul ? Il rejoint sa communauté et les situations humaines où chacun de nous vit aussi des enfermements, vit aussi des incarcérations.
L’incarcération que vit Paul, au nom du Seigneur, lui donne d’être présence de vie pour sa communauté. Et voilà qu’une prison peut devenir un rocher d’où jaillit la source.

Au son de la flûte, laissons la source venir transfigurer nos vides, nos enfermements, ces lieux où nous avons besoin de renaître. 

 

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