Messe du 16ème dimanche ordinaire

 

Chanoine José Mittaz, à l’hospice du Grand-St-Bernard, le 22 juillet 2007
Lectures bibliques :
Genèse 18, 1-10: Colossiens 1, 24-28; Luc 10, 38-42 – Année C

Marie a choisi la meilleure part. Elle ne lui sera pas enlevée. Si Marie a choisi la meilleure part et que cette part là ne peut pas lui être enlevée, alors nous aussi, il nous faut choisir la meilleure part, celle qui ne peut pas être enlevée parce qu’elle est inscrite au plus profond de nous-mêmes. Oui, cette meilleure part existe à l’intérieur de chacune et de chacun d’entre nous.

Tout le chemin de notre vie consiste à coïncider et à rejoindre davantage cette meilleure part qui est en nous. Et ce long chemin, celui de toute notre existence, est un chemin de simplification. Force est de constater lorsque nous posons un regard sur notre existence que c’est un peu compliqué. Il y a tant de choses à faire. Il y a tant de moyens pour se disperser. Travail de simplification où ce qui n’a pas valeur d’éternité en nous, petit à petit, peut être laissé aller pour que nous devenions toujours plus nous-mêmes dans cette meilleure part qui est finalement l’image de Dieu que nous sommes.

Marie a choisi la meilleure part. Quelle est cette part ? Attention de ne pas tomber dans les caricatures que ce récit pourrait suggérer, à savoir une opposition entre le travail et l’écoute reposante, quoiqu’écouter n’est jamais vraiment reposant pour celui qui écoute. Non, il n’y a pas d’opposition entre le service et l’ouverture de l’écoute. Si nous relisons le début de cet évangile, de cette histoire, nous voyons un magnifique tableau comme s’il y avait une plénitude d’hospitalité autour de Jésus. Marthe le reçoit dans sa maison et Jésus est là et Marie assise à ses pieds, écoute.

Magnifique tableau d’hospitalité où il n’y a pas concurrence entre l’attitude de Marthe et de Marie, parce que finalement il y a l’unité de toute la personne de Jésus qui est accueillie. Tout ce que Jésus porte en lui est accueilli par l’écoute et recevoir quelqu’un dans sa maison c’est prendre soin peut-être de ses pieds en les lavant, de sa faim, en offrant un repas, c’est lui offrir un moment où son corps peut aussi se reposer et se détendre. Il y a là une grande unité qui est cette meilleure part. C’est ensuite que cela se complique, parce que l’évangile qui est une bonne nouvelle nous dit : attention, c’est exigeant de vivre cette meilleure part, qui est également aussi celle de l’hospitalité de l’autre en moi ou de moi en l’autre. C’est exigeant parce que, à un moment donné je risque d’être trop préoccupé et je perds de vue l’autre et au moment où je perds de vue le regard de l’autre, je suis divisé à l’intérieur de moi. C’est comme si le regard de l’autre à qui j’offre toute ma présence, c’est ce regard bienveillant qui va être source de l’unité en moi. La difficulté du service qu’expérimente Marthe, c’est cela. Il y a beaucoup de choses à faire pour accueillir, mais l’essentiel, c’est la relation vivante avec la présence de celui que j’accueille, parce que finalement à la fin de la journée Marthe pourrait se retrouver avec beaucoup de choses faites, un magnifique repas apprêté, mais aura-t-elle rencontré celui qu’elle a accueilli dans sa maison ?

Oui, s’il y a une tension à mettre entre l’attitude de Marthe et de Marie, cette tension ne se situe pas entre une dimension active et une dimension contemplative. Cette tension se situe entre un cœur unifié et un cœur dispersé par les multiples tâches. Marthe accaparée, on pourrait dire, l’homme et la femme d’aujourd’hui stressés. Si nous posons un regard sur notre vie au quotidien, combien de fois risquons-nous de faire plein de choses en même temps, le téléphone d’un côté, l’écran de l’ordinateur de l’autre et peut-être encore quelqu’un qui m’adresse la parole. Peut-être que se mettre en chemin vers cette meilleure part de nous-mêmes consiste à être pleinement présents dans ce que nous faisons, que lorsque nos mains prennent soin de l’autre, que notre regard soit également attention à l’autre, que dans notre cœur il y ait espace pour l’autre, parce que l’accaparement, c’est peut-être de prendre soin avec les mains, alors que le cœur et l’esprit, sont déjà dans la tâche suivante ou dans celle d’après.

Le plus beau cadeau que nous puissions nous offrir, c’est celui de notre présence avec tout ce que nous sommes.

J’ai appris cela notamment aussi dans des rencontres que j’ai pu vivre avec des personnes malades, alitées. C’est vrai que lorsque l’on est alité, peut-être qu’il y a moins la possibilité d’être dispersé par de multiples activités, parce que les limites qui font que la personne est dans son lit, à quelque part « protège » d’un accaparement. Ce qui m’a nourri le plus c’est de voir combien je pouvais être bouleversé, touché par un mot, un regard, mais dans ce mot, dans ce regard, il y avait toute la présence de la personne.

Je pense à cette grand-maman, que j’ai accompagnée pendant quelques mois, qui était atteinte de fibromyalgie, nous avions célébré une première fois l’onction des malades en compagnie de sa famille et elle cheminait dans sa dernière étape vers la rencontre avec le Seigneur et voilà qu’au moment où elle ne pouvait presque plus parler, qu’on sentait ses forces diminuer, je lui ai reproposé de vivre le sacrement des malades. A ce moment-là, il y avait aussi de l’agitation en elle, elle m’a répondu : « Cela ne peut pas me faire de mal ». Et oui, il n’y a avait pas encore cette disponibilité intérieure, mais quelques jours après sa famille m’appelle à son chevet et avec ses enfants nous avons eu un magnifique temps de rencontre et ensuite j’ai rencontré seul cette grand-maman. Je lui ai demandé, jeune prêtre que j’étais et que je suis, que lorsqu’elle sera au ciel, de veiller sur tous les jeunes que je rencontrerai dans mon ministère, d’être un peu la grand-maman de tous ces jeunes. Elle qui avait offert beaucoup de sa présence pour être à l’écoute des jeunes, qui était la grand-maman de plein de monde déjà m’a dit : oui. Et je pense à elle aujourd’hui. Elle m’a dit oui avec beaucoup d’émotion et au moment de se dire adieu, car je savais que je ne la reverrais pas ici, sur la terre, ses lèvres qui ne pouvaient presque plus parler, ont articulé un mot et c’est ce mot qui me nourrit encore aujourd’hui. Ce mot, c’est : merci. Dans ce merci, il y avait tout grand-maman Françoise, dans ce merci était recueilli toute sa vie avec ses périodes d’agitation, ses périodes de calme, avec tout ce qu’elle a cherché à donner. Sa vie est devenue action de grâce et bonne nouvelle pour moi.

Que nous puissions être invités à offrir simplement notre présence et peut-être que si nos forces diminuent à cause de la maladie et de l’âge, que nous puissions nous laisser encourager par grand-maman Françoise, un geste, une parole, un regard peuvent devenir un évangile. 

 

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