Messe du 16e dimanche du Temps ordinaire

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, à l’abbaye de Saint-Maurice, le 19 juillet 2009
Lectures bibliques : Jérémie 23, 1-6; Ephésiens 2, 13-18; Marc 6, 30-34 – Année B


Les week-ends sont faits pour se reposer, se déconnecter de la réalité, rompre avec le quotidien, commente le dépliant de la station thermale de …. Grâce à la richesse de ses composants : oligo-éléments, minéraux et gaz, l’eau thermale de … possède de multiples vertus thérapeutiques
Sédative et Antalgique : elle apaise vos douleurs musculaires et articulaires,
Équilibrante : elle soulage l’angoisse, le stress, l’anxiété et les insomnies,
Relaxante : elle entraîne un relâchement musculaire de votre corps, en un mot, elle vous permet de retrouver votre sérénité
Massages, bains à remous, hammams… sont autant de plaisirs proposés. Et pour joindre l’utile à l’agréable, on en profite pour visiter la région qui regorge de trésors.
Avec ça, les batteries sont rechargées pour entamer une nouvelle semaine !

Quittons le dépliant de la station thermale, et ouvrons cet autre prospectus qui comporte 150 volets – car il s’agit bien d’un prospectus au sens du mot latin [« regarder au loin », plus loin que le bout de son nez]. Dans la Bible le livre des psaumes  est ce prospectus qui permet à l’homme de porter son regard très loin, de traverser toute la pâte humaine avec ses déviances, ses angoisses, ses désirs, ses coups de cœur, etc. de plonger son regard jusqu’au tréfonds de l’humanité, là où le Christ lui-même est descendu. D’ailleurs on appelle ça la « descente aux enfers ». Or, voyez-vous, dans le cœur de l’être humain, il y a un désir de repos. Désir de s’arrêter, de se laisser régénérer par quelque cure miracle. On comprend pourquoi les stations thermales et autres spas attirent les foules ! De leur côté, les Ecritures ne nous font-elles point passer à travers un certain nombre de plans aquatiques, de piscines et de lacs ?

Or, à cette humanité fatiguée – humanité à laquelle appartiennent les Apôtres, car eux aussi sont harassés par la tâche. Avez-vous déjà rencontré aujourd’hui un ministre de l’Eglise qui ne soit pas fatigué ? Mais souvent nos pasteurs interprètent leur fardeau via une pseudo-mystique du don de soi, qui les empêche de poser les vraies questions !
Donc le Seigneur voit la lassitude qui s’installe dans son staff – et c’est ici que nous allons retrouver les psaumes, attendez encore un peu ! – et alors qu’est-ce qu’il leur dit ? « Cool les mecs ! Lâchez prise ! C’est pas votre problème ! Etc. » ? Pas du tout.  Il leur dit :« Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. ». Le verbe grec, employé par saint Marc,  évoque une armée qui, après un longue marche, dépose ses armes et fait halte : mais, une fois reposé, il s’agira de reprendre la route avec armes et bagages et de monter au combat. Ce n’est pas du tout le discours du lâcher prise dont notre époque abuse et qui parfois encourage la démission face à nos responsabilités réelles. A ce propos écoutez ce discours de la dérive volontaire – comme si la vie était une partie de ski nautique ! –, relaté par l’Observer Magazine (cité par le sociologue Zygmunt Bauman) :

«Coulant comme de l’eau (…) vous vous déplacez
rapidement, sans jamais vous battre contre le courant
ni vous arrêter assez longtemps pour stagner ou vous
tenir aux rives ou aux rochers – les biens, situations
ou personnes qui traversent votre vie -, sans même
tenter de vous accrocher à vos opinions ou à votre
vision du monde, mais simplement en vous attachant
doucement, quoique avec intelligence, à tout ce qui se
présente à vous pendant votre périple, puis en le laissant filer avec grâce, sans vous y accrocher… »

Certes, dans l’épisode relaté par l’évangile de ce dimanche, il s’agit de s’alléger, de renoncer à quelque chose. Dimanche dernier le Seigneur recommandait aux siens une tenue légère pour la route (« Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange ») ;  mais il les envoyait munis de graves responsabilités. Il fallait bel et bien partir. 

Et pourtant, frères et sœurs, cette traversée du monde – en quoi consiste la mission apostolique, mission qui fait de toute communauté chrétienne une communauté apostolique – cette plongée en humanité qu’est notre baptême à chacun de nous, est en même temps l’entrée dans un repos. Ici il faudrait citer le numéro 94 de notre prospectus, le psaume 94 : « Venez, crions de joie pour le Seigneur… Ne fermez pas votre cœur », car c’est votre repos qui est en jeu. De quoi s’agit-il donc ? Quel est donc ce repos qui n’est pas un faux abandon, un je-m’en-foutisme devant les graves défis de notre société ? Ce repos, le psaume 22 que nous avons médité après la 1ère lecture, nous le décrit à travers des images et un parcours que la tradition des Pères interprète comme le voyage du disciple dans ce monde,  sa traversée au milieu des périls, des épreuves et des défis qu’il s’agit pour chacun de nous d’affronter : itinéraire de chacune de nos existences, parcours illuminé par la présence du Christ. Car ce Seigneur est bien mon berger ; « il me mène  vers les eaux tranquilles ».

La seule condition est de nous alléger de tout ce qui grève notre marche, de déposer nos fausses armes, pour revêtir le Christ, notre unique pasteur, pour assumer ce fardeau unique qu’est son amour. Amour – caritas –   « force extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité dans le domaine de la justice et de la paix… force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et Vérité absolue » (début de l’encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate). « C’est la conscience de l’Amour indestructible de Dieu qui nous soutient dans l’engagement, rude et exaltant, en faveur de la justice, du développement des peuples avec ses succès et ses échecs, dans la poursuite incessante d’un juste ordonnancement des réalités humaines » (Ibid.)

 

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