Messe du 15ème dimanche ordinaire

 

Abbé Jean-Jacques Martin, à l’abbaye de Saint-Maurice dans le cadre de la Semaine romande de Musique et Liturgie, le 15 juillet 2001
 
Lectures bibliques : Deutéronome 30, 10-14; Colossiens 1, 15-20; Luc 10, 25-37

Chers amis,

Lorsque votre curé de paroisse essaie de prêcher en disant avec conviction que tous les hommes doivent s’aimer, n’est-ce pas relativement facile ? Il n’est pas nécessaire de faire appel à une morale bien particulière ni à un quelconque dieu pour dire un tel principe. Mais oui, l’humanité est faite pour aimer !

1) La difficulté commence lorsque l’on veut préciser ce que c’est que d’aimer et plus encore : ce que c’est que d’aimer à la manière proposée par Jésus. Lorsque l’on prend conscience qu’aimer c’est sortir de soi et de chez soi, aller à la rencontre des autres, risquer sa tranquillité, ses acquis, alors commencent les questions, les doutes, les points d’interrogation.

2) A la lecture de l’évangile d’aujourd’hui nous avons pris l’habitude de retenir une exhortation à l’amour du prochain, à l’amour de tout homme. C’est déjà quelque chose ! Mais il ne faut pas oublier que le Samaritain donné en exemple par Jésus est considéré comme un ennemi par les auditeurs de celui-ci, ou pour le moins quelqu’un que l’on ne fréquente pas… Pourrait-on dire que nous avons à prendre des leçons – comme le docteur de la Loi – parfois là où on ne s’y attend pas, c’est-à-dire auprès des gens que l’on ne fréquente pas… ou encore : est-ce que celui ou celle que je ne fréquente pas pourrait être pour moi quelqu’un dont j’ai quelque chose à apprendre et qui pourrait devenir pour moi… aimable ?

3) Et puis n’oublions pas non plus le début de ce passage de l’évangile de Luc qui commence par une question posée justement par le docteur de la Loi : « que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? » Et voilà que nous sommes orientés non pas tellement vers une pratique religieuse mais bien vers une observation attentive de ce qui se passe dans notre vie, autour de nous.

Aimer, aimer quelqu’un que je n’ai pas l’habitude de fréquenter, et en plus pas seulement prier pour lui – ça je peux toujours le faire – mais le rencontrer dans le quotidien de ma vie parce qu’il est mon prochain, parce qu’il m’est devenu proche.

Alors, Seigneur Jésus, avec ton attitude, avec ce que tu demandes : Va, et toi aussi, fais de même, tu exagères. Trop, c’est trop !

Oh, je veux bien donner une fois quelque chose pour uneœuvre charitable de chez nous parce qu’avec les grandes organisations internationales, on ne sait jamais où va l’argent…
Oh, je veux bien avoir un coup de cœur et généreusement participer à une collecte suite à une catastrophe.

Mais je sais bien au fond de moi qu’alors je ne suis que comme le prêtre et le lévite de l’évangile : je ne prends pas le temps de m’arrêter…

Et quand j’essaie de comprendre le Samaritain, je me rends compte qu’il prend du temps pour vivre ce service. Il semble même y trouver du plaisir. Son dévouement a l’air de lui faire du bien et lui apporte quelque chose.

Aimer, aimer quelqu’un que je n’ai pas l’habitude de fréquenter, et en plus pas seulement prier pour lui – ça je peux toujours le faire sans que cela me pose des questions – mais le rencontrer dans le quotidien de ma vie parce qu’il est mon prochain, parce qu’il m’est devenu proche.

– Le Samaritain découvre en lui cette loi de l’amour qui invite tout homme à regarder l’autre comme un frère.
Je regarde comme un frère ce vieux prêtre malade qui tient à célébrer la messe et qui m’ennuie parce qu’il ne fait que de m’ennuyer par son attitude
– Je regarde comme un frère cet organiste qui, depuis des décennies, continue de ne pas comprendre qu’il n’est pas tout seul à la tribune
– Je regarde comme un frère cette basse qui se croit être le sauveur du registre et qui écrase si bien tout le monde
– Je regarde comme un frère ce jeune avec ses percings et qui vient me déranger pendant que je fais mes commissions rapidement car j’ai si peu de temps
– Je regarde comme un frère…

Et si, maintenant, on se regardait comme des frères : vous qui êtes ici dans cette abbaye et qui avez participé à la Semaine Romande de Musique et de Liturgie ou qui êtes venus ce matin pour l’eucharistie dominicale, vous qui êtes sur un lit d’hôpital sachant que le personnel soignant va arriver, vous qui êtes seuls et qui pensez à ces regards qui ont fait ou défait votre vie, vous qui êtes sur la route attentifs à ce qui se passe autour de vous.

Et si maintenant, on se regardait comme des frères inviter du regard et, si cela est possible, par un geste à se regarder…

« Seigneur, le prochain n’est pas, selon toi, celui ou celle dont je peux prévoir la venue. Le prochain tombe toujours mal, quand vraiment je n’ai pas le temps… Ton prochain, mon prochain, Seigneur, c’est celui à qui je peux faire du bien simplement parce que je croise son chemin au moment où il attend quelque chose. Bien sûr, quelqu’un d’autre ferait ça mieux que moi. Mais parce que nos chemins se croisent au moment où je peux lui donner ce dont il manque, voilà mon prochain.

Voilà le lieu où tu attends aujourd’hui de me rencontrer, Seigneur ». (Sœur M.P. Faure)
Amen.

 

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