Messe du 15e dimanche ordinaire

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, abbaye de Saint-Maurice, le 14 juillet 2002, dans le cadre de la Semaine romande de Musique et de Liturgie

Lectures bibliques : Isaïe 55, 10-11; Romains 8, 18-23; Matthieu 13, 1-23

« Parle avec elle », c’est le titre du dernier film de Pedro Almodovar, qui s’est taillé un magnifique succès sur nos écrans au printemps dernier. Film immense, riche de symboles et de paraboles qui font rêver le spectateur et lui permettent de rejoindre les grandes structures de l’existence : l’amour, la mort, la vie, l’au-delà de la vie, … Parodiant la question des disciples à Jésus, on aurait envie de lancer au cinéaste : « Pourquoi donc nous parles-tu avec tant de paraboles ? » C’est que ces vérités profondes de l’existence ne se peuvent aborder qu’à travers la voie symbolique. Parle avec elle, nous invite Almodovar. Avec qui donc ? Avec celui ou celle dont tu voudrais partager le destin. Or il s’avère que l’un parle, il s’appelle Benigno, et l’autre pas, c’est Marco. L’un ramène du sommeil de la mort celle qu’il aime, à la faveur d’une conversation patiente et passionnée; tandis que l’autre, par son mutisme et sa peur, condamne la femme aimée à ne point revenir du coma où l’a jetée un accident de corrida – figure du combat entre l’amour et la mort. La fière toreadora s’en ira dans le domaine des morts.

Le Dieu qui nous rassemble ce matin pour cette liturgie de la Parole et de l’action de grâce est le Seigneur d’une Parole donnée depuis toute éternité et sans cesse redonnée au monde par ceux qu’ils constituent ses disciples et ses témoins. « Au sein de notre humanité encore désunie et déchirée », la Parole se fraye un chemin. « Et les ennemis enfin se parlent, les adversaires se tendent la main, des peuples qui s’opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin. » (Prière eucharistique pour la réconciliation II). Quoi qu’on puisse penser des fractures de notre siècle – fractures ethniques, sociales ou religieuses – des artisans de paixœuvrent en ce monde. Les raisons de leur action sont diverses. S’y mêlent parfois des intérêts égoïstement économiques. Toutefois, pour qui veut agir en chrétien dans le monde, une seule et unique raison suffit. Les Ecritures de ce dimanche l’illustrent abondamment. « Ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. » (Is 55, 11). Et : « Voici que le semeur est sorti pour semer… » (Mt 13). La parabole rappelle les difficultés, les lenteurs, les échecs qui caractérisent cette mission.

« Parle avec elle », dit Dieu. Parle avec cette humanité que j’ai épousée. Crée des liens, bâtis des ponts, lance des passerelles, insiste, reviens à la charge, persévère. Ne condamne jamais ton frère ou ta sœur. Arrache-les à leur mutisme. Tire-les de leur mauvais silence.

C’est que nous sommes les fils et les filles d’un Dieu qui parle avec l’humanité. Dès le commencement Dieu parle le monde. C’est bien parce que le petit d’homme est « parlé » qu’il peut vivre et grandir. Père et mère, c’est par la parole adressée qu’on le devient. Comme Dieu lui-même : n’est-il pas éternellement Père à la faveur de cet échange d’amour qui le relie à un Fils qui est comme son Verbe ? La différence d’avec nos échanges humains c’est que, comme dit le psaume 18, « il n’y a pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s’entende ». Tandis que les relations humaines sont souvent traversées par des bruits et des parasites.

La liturgie qui rassemble les baptisés bâtit pour eux, de dimanche en dimanche, un espace de silence et d’action de grâce où la Parole fait son chemin. Pour ceux qui nous regardent de l’extérieur il n’y a là que paraboles et figures énigmatiques. Et pourtant, à travers les signes qui, depuis 2000 ans, sont offerts dans l’assemblée chrétienne, la Parole éternelle accomplit sa mission. Elle porte du fruit. Chants, gestes, silences, paroles de louange et d’intercession, nous font acteurs du Royaume qui vient. Dans leur signification cachée mais bien réelle, les rites chrétiens parlent l’humanité telle que Dieu la veut dans son grand dessein d’amour. De dimanche en dimanche voici que nous sommes initiés au secret du Roi. Heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent.

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