Messe du 15e dimanche ordinaire

Chanoine José Mittaz, à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, VS, le 11 juillet 2010
Lectures bibliques : Deutéronome 30, 10-14; Colossiens 1, 15-20; Luc 10, 25-37 – Année C

La parabole du bon samaritain, une icône devenue universelle pour évoquer cette loi d’amour qui est tout près de toi, qui est dans ton cœur, pour autant que dans ton cœur il puisse y avoir de l’espace pour accueillir des frères des sœurs à aimer, des frères et des sœurs que je reconnais comme tels avant de les connaître, des frères et des sœurs qui peuvent d’abord avoir le visage de l’étranger, de l’étrangère, de celui de celle qui pense différemment de moi, qui vit différemment de moi.

Oui, le bon samaritain, (c’est d’ailleurs ainsi que l’on nomme cette parabole, même si le mot « bon » n’y est pas) est universellement connue. Aujourd’hui lorsque l’on cherche un poste de premier secours, on va chez les samaritains. Spontanément le mot samaritain indique pour nous une présence hospitalière qui saura nous accueillir. Nous découvrirons à l’écoute de cet évangile, qu’il n’en était pas forcément ainsi à l’époque de Jésus.

La parabole du bon samaritain nous invite à nous situer dans notre capacité d’aimer, et le révélateur de notre capacité à aimer, c’est comment nous nous situons par rapport à la souffrance. Pour entrer dans ce thème de la souffrance, rejoignons un premier personnage que nous livre la parabole. Cet homme qui descendait de Jérusalem, ville sainte, à Jéricho, et qui en chemin, sans raison, est victime de ce que nous pourrions aujourd’hui appeler de la violence gratuite : il est roué de coups, dépouillé de ses biens et laissé là, à demi-mort.

Il y a différentes manières de se situer par rapport à la souffrance. Je suis très étonné d’avoir lu, (vous pouvez notamment le relire dans l’introduction du Prions en Eglise) l’interprétation des pères de l’Eglise, qui, eux aussi, comme nous, ne sont pas toujours libres face à la tentation de la culpabilisation. Que disent ces pères de l’Eglise ? Ils disent que cet homme qui a quitté la cité de Jérusalem a quitté la cité de Dieu et quand nous quittons la présence de Dieu, nous nous exposons aux forces du mal, nous nous exposons aux convoitises qui sont en nous et nous sommes en danger de mort, comme cet homme couché sur le chemin. Mais enfin, est-ce cela que Jésus veut nous dire ? Non, bien sûr que non. Cette interprétation, elle est importante, non pas parce qu’elle nous dit la vérité, mais parce qu’elle nous révèle notre manière d’interpréter les situations injustes qui nous font souffrir.

Cet homme n’a rien fait de mal, il ne s’est pas du tout laissé livrer à ses convoitises, il n’a pas quitté Jérusalem pour déserter Dieu. Dans tout l’Evangile de Saint Jean, Jésus monte quatre fois à Jérusalem, cela veut dire qu’il en sort également quatre fois. Et si Jérusalem, la cité de Dieu était si protectrice, Jésus aurait-il été crucifié à Jérusalem ? Jésus a-t-il aussi été livré à ses convoitises, au mal ? Non, bien évidemment.

La première attitude face à la souffrance, c’est peut-être de ne pas chercher pourquoi mais d’oser s’orienter vers comment la vivre. Il y a un couple qui est justement parfois difficile à vivre ; c’est le couple violence souffrance, parce-que c’est difficile de rester présent dans la souffrance et que nous pouvons risquer de tomber dans une violence. Violence contre l’autre à l’image de ces bandits qui dépouillent ce pauvre homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, mais violence aussi de ces prêtres et de ces lévites qui, passant par là, ont, en traduction d’aujourd’hui, « changé de trottoir » pour éviter la souffrance. Il y a une forme de violence qui n’est pas celle d’asséner des coups à l’autre, mais celle de devenir indifférent à ce qu’il vit, et de démissionner devant notre responsabilité à nous engager au service de celui qui est en danger.
Mais la violence, c’est toujours une incapacité à oser être simplement une présence. Est violent celui qui souffre. Violent contre lui parfois avec tous les modes de compensation que l’on peut connaître pour échapper à sa propre profondeur. Violent contre l’autre dans une incapacité à pouvoir mettre des mots sur ce qu’il vit. Ne nous leurrons pas ; les bandits qui ont dépouillé cet homme sont, eux aussi, des êtres en souffrance. Le prêtre et le lévite qui ont besoin de se réfugier dans une idéologie creuse qu’ils appellent pourtant Dieu sont incapables de se rejoindre à ce moment là, peut-être le pourront-ils un jour, mais à ce moment-là, ils sont incapables de rejoindre leur cœur.

Finalement, ce n’est pas un jugement que je pose en disant cela, je cherche à poser un discernement pour que nous puissions reconnaître nos propres attitudes et le discernement s’appuie sur l’attitude du bon samaritain. Cet homme était en voyage ; remarquez qu’il n’a été ni à Jérusalem pour adorer mais qu’il est en chemin. Donc selon l’interprétation des pères de l’Eglise il aurait aussi pu, lui aussi, tomber dans une embuscade, comme les prêtres et les lévites d’ailleurs. Ainsi, c’est bien dire que cette interprétation, il nous faut la laisser.

Mais ce bon samaritain, que fait-il au moment où il découvre cet homme à demi mort, dépouillé de tout ? Eh bien l’Evangile nous dit qu’il commence à avoir pitié. Oh pas de cette pitié condescendante qui finalement utilise la faiblesse de l’autre pour se faire croire qu’il est grand. Non, la pitié au sens biblique du mot : la miséricorde, la compassion. Une tendresse qui est presque cette attitude maternelle qui prend aux entrailles et qui est capable de donner vie. Ce samaritain commence par se rejoindre lui-même et c’est cela la grandeur de cet homme qui a apprivoisé en lui la souffrance. Il se rejoint lui-même parce que lui sait ce que c’est que de souffrir ; il est samaritain !

Pour nous, samaritain, cela résonne bon, mais à l’époque de Jésus, les samaritains, ce sont les étrangers, ceux qui sont les dissidents de la communauté juive, ceux qui n’adorent pas à Jérusalem mais sur le mont Garizim, ceux qui ont une autre manière de vivre la foi et qui sont donc exclus : les juifs ne pouvaient pas parler à un samaritain ! Et ce samaritain-là, qui peut-être est passé par Jérusalem a dû lui aussi endurer des attitudes de mépris, des attitudes de rejet… c’est cela sa grandeur… et qui est la force de l’œuvre d’amour de Dieu en lui, si bien qu’on y reconnaît le Christ. Sa grandeur c’est de ne pas avoir répondu à la violence par la violence, mais c’est qu’il est conscient de la souffrance que le rejet a généré en lui, et de cette souffrance il en fait un chemin d’amour. Voilà son voyage. C’est en rejoignant son expérience du rejet qu’il peut se faire proche de l’homme qui lui aussi est dépouillé… une présence vulnérable… Mon Dieu qu’a-t-il pour prendre soin de lui ? Eh bien ce qu’il avait en voyage, il est donc lui aussi quelque part dépouillé mais il est présence. Et vous voyez le chemin qui se dessine.

De la violence il nous faut oser rejoindre qui nous sommes, être une présence, même s’il y a de la souffrance, pour cheminer vers l’Espérance. Une fois qu’il a été pris de pitié pour cet homme blessé, eh bien il s’approche de lui. Pour s’approcher de l’autre, il faut commencer par s’approcher de son propre cœur, sinon il n’y aura pas rencontre. Il faut rejoindre en soi ses forces, ses grandeurs mais aussi ses fragilités, pour révéler l’autre dans ses forces, ses grandeurs mais aussi dans ses fragilités. Ils se mettent en route… Remarquez aussi que quand on cherche à être samaritain, il faut être attentif à n’en faire ni trop, ni trop peu.

Trop peu, cela serait d’avoir pris soin des blessures de cet homme en y versant le vin qui désinfecte et l’huile qui adoucit et qui réconforte, et de l’avoir laissé là, en proie à d’autres voleurs. Cela, ce n’est pas assez. Non, il l’a chargé sur sa monture et tout d‘un coup il a fait un bout de chemin avec. Faire un bout de chemin avec, c’est reconnaître que l’autre devient intérieur à moi-même, qu’il habiteà chacun des pas qui me fait avancer. Parfois comme un poids, parfois comme une présence qui a du poids. Le poids c’est à la fois la lourdeur et la gravité, mais c’est aussi la gloire, le rayonnement d’une présence…

Mais le bon samaritain n’en fait pas trop non plus. Il n’ira pas jusqu’au bout du voyage avec cet homme blessé, mais il saura utiliser des réseaux de solidarité. Il saura ne pas posséder celui au service de qui il s’est mis, mais il va le remettre aux bons soins de cet aubergiste. C’est intéressant de voir que, finalement, dans l’auberge, ne peuvent être accueillis que ceux qui sont présents à eux-mêmes et à l’autre : le samaritain et l’homme blessé. On a l’impression que ni le lévite, ni le prêtre, ni les voleurs qui ont dépouillé le pauvre homme, n’ont vu cette auberge. Eh bien oui, pour oser être accueilli, pour oser accueillir, il nous faut rejoindre et notre cœur et notre prochain.

Oui c’est cela la loi de l’amour, et cette parole, elle est auprès de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique. A chacun d’entre nous de rejoindre son histoire de vie, de se reconnaître, peut-être parfois dans le bandit qui a besoin de déverser sa violence par incapacité à rejoindre sa souffrance. Peut-être dans le prêtre et le lévite qui se protègent du difficile quotidien au travers de la bulle de l’idéologie, mais peut-être aussi dans l’homme blessé, qui, pour devenir présent à lui-même accepte de bénéficier des soins de ce samaritain. Un samaritain qui sait conjuguer présence et souffrance orientées vers l’espérance qui a toujours la forme d’une auberge, d’un foyer.

 

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