Messe du 15e dimanche du temps ordinaire

 

Père Philippe Lefebvre O.P., centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 10 juillet 2011
Lectures bibliques : Isaïe 55, 10-11; Romains 8, 1823; Matthieu 13, 1-9 – Année A

Parole semée

Le semeur sème du grain sur toutes sortes de sol. Vous avez entendu quelle mise en scène Jésus réalise pour proclamer cette parabole. Il monte dans une barque et s’adresse aux gens assemblés sur le rivage. Il a sans doute forcé sa voix pour que tout le monde l’entende. Ainsi donc, des gens sur la terre reçoivent des paroles lancées par Jésus, paroles qui racontent comment des terres reçoivent des grains lancés par un semeur. En bon pédagogue qu’il est, Jésus met immédiatement ses auditeurs dans la situation du récit qu’il leur fait. Ils sont sur la terre, ils sont les terres qui reçoivent le grain.

Dieu, le Semeur.
Cette parabole est la toute première d’une longue série que Jésus va dérouler. Nous entendrons la suite pendant les deux dimanches qui viennent. Mais commençons aujourd’hui par le commencement : « Le semeur est sorti pour semer ». Si vous lisez la Bible en commençant par le commencement, vous verrez que le premier semeur dont il soit fait mention est Dieu lui-même. Dès le chapitre 2 de la Genèse, le Seigneur est présenté comme un horticulteur attentif : il plante un jardin afin que l’homme qu’il vient de créer soit placé dans un lieu accueillant, il y fait germer toutes sortes d’arbres. Le maître des semences, c’est Dieu dans la Bible.
Le geste ample, généreux, du semeur, manifeste bien qui est Dieu. Quelqu’un qui donne la vie à profusion, qui la suscite partout et toujours, qui ne lésine pas. Comme le disait le Seigneur dans notre première lecture d’Isaïe : « La parole qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat ». Cette parole lancée par Dieu accomplit une mission de fécondité : elle abreuve la terre et la fait germer – je cite toujours notre passage d’Isaïe. Sa Parole nous crée, nous fertilise, nous fait éclore à une intelligence nouvelle.

Le Christ, le grain.
Faisons un pas de plus. La parole de Dieu lancée sur la terre, qui est-elle ? C’est le Christ Jésus lui-même, la Parole, le Verbe comme on l’appelle, Celui qui exprime totalement ce que le Père est et veut. Jésus, pour dire quelle Parole il est, lance à poignées des paroles. Dans la suite de son discours, il proposera de penser le Royaume des cieux comme un homme qui a ensemencé un champ de bon grain, et ensuite comme une graine de moutarde qui produit un arbre de belle taille. Mille paroles pour dire la Parole qu’il incarne.
L’incarnation du Christ comme du grain jeté sur notre terre ! Comme le suggère notre parabole, on ne sait pas alors sur qui le Christ peut tomber : des bas-côtés, des pierres, des ronces, de la bonne terre. Jésus explique toutes ses images dans la suite de notre chapitre. Les bords de route, ce sont les gens que rien n’intéresse hormis eux-mêmes : la Parole ne les atteint jamais, elle tombe pour eux à côté de la plaque. Les rocailles sont des gens tout en surface : pas de terreau, pas de profondeur ; la parole ne peut pas prendre racine en eux. Les ronciers sont ceux qui sont étouffés par le souci de paraître conformes à ce que le monde attend d’eux ; c’est une telle complication d’essayer de plaire à tout le monde qu’ils sont trop occupés pour accueillir la parole. Et puis il y a ceux qui, quand la Parole survient, acceptent, acquiescent et portent du fruit.

Terrains à discerner.
Bord du chemin, pierre, ronces, bonne terre : quand il y a des différences, nous devenons souvent nerveux. Certains auraient tendance à dire que nous sommes tous tout cela à la fois. Chacun d’entre nous serait un peu à côté de la plaque, un peu superficiel, un peu tourmenté par le désir de plaire, un peu bonne terre aussi. Bref, on s’en tire par une solution de sauve-qui-peut : ainsi – pense-t-on – plus de problème ! Nous serions tous pareils. Or, Jésus dit explicitement l’inverse.
Il s’agit donc, comme c’est toujours le cas dans les paraboles, de discerner. Sinon, elles ne serviraient à rien. Si une parabole avait pour but de dire que tout le monde est comme tout le monde, que chacun est tout, il n’y aurait aucun intérêt à les dire ni à les écouter.
Jésus, en appelant au discernement, à la distinction, nous fait part de son expérience quotidienne. Quand il se livre, quand il se donne comme le grain qu’on sème, il est reçu de multiples manières. Les uns font comme s’il n’avait rien dit : sa parole tombe à côté d’eux et pas question qu’il en ramasse une parcelle. Les autres s’enthousiasment un temps et puis ils chipotent et ne donnent pas suite. D’autres seraient partants, mais cela les mettraient en délicatesse avec ce que pensent leur entourage et les puissants du jour ; alors, ils enterrent vite l’affaire. Et puis, il y a miraculeusement ceux qui l’accueillent.

Quel terrain suis-je ?
Cela veut-il dire que les jeux sont faits d’avance ? Que tout le monde est placé dans des catégories ? Non, c’est simplement un constat. Quand vous voulez transmettre une parole importante, quand vous parlez pour dire vraiment quelque chose, vous vivez ce genre d’expériences. Une parabole sert à cela : à établir des constats, à nous amener dans le réel vécu. Peut-être vous demandez-vous alors si vous êtes un bord de route, un terrain de pierre ou de ronces ou de la bonne terre ? Eh bien, demandez au Seigneur ce qu’il en pense. Interrogez-le dans la lumière de sa Parole. Attendre du Seigneur qu’il fasse comprendre qui je suis, plutôt que de dépendre de l’avis des uns et des autres, c’est un aspect important de ce que l’on appelle en terme technique la vie chrétienne.
En tout cas, ce qui nous appelle dans cette parabole, ce ne sont pas d’abord les terrains insatisfaisants, mais la « bonne terre ». Dans l’Ancien Testament, c’est un des noms que l’on donne à la terre Promise (Nombres 14, 7), ce pays plantureux où le Seigneur règne. Qui représente la bonne terre ? Lisez les évangiles ! On peut penser, bien sûr, à la Vierge Marie, celle qui reçoit dans le sol de sa chair le « fruit béni ». Mais bien d’autres, inattendus, peuvent figurer sur la liste des humus recommandables. Un seul exemple ? Le type crucifié à côté de Jésus. À première vue, ce fameux larron n’est que de la mauvaise graine. Mais dès qu’il se trouve à côté du Christ, il lui adresse des mots décisifs, mûris dans la terre cachée de son être. Alors Jésus lui répond qu’ils entreront tous deux ce jour même au paradis. Le larron, première floraison d’une terre nouvelle.

 

 

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