Messe du 14e dimanche ordinaire

 


Père Guy Bedouelle, le 9 juillet 2000

Lectures bibliques : Ex 2, 2-5; 2 Co 12, 7-10; Mc 6, 1-6

Le prophète est parmi nous
L’évangile de ce dimanche rapporte une des contradictions rencontrées par Jésus dans son ministère, l’une des plus douloureuses sans doute de sa vie publique avant les événements de la Passion : être mis en doute par ses concitoyens, ses voisins, ses proches, ceux qui naturellement avaient dû être les premiers témoins et le premier noyau de cette adhésion qui, à partir d’eux, pouvait embraser l’univers entier.

Mais Jésus est rejeté en son pays de Galilée, au nom même de cette proximité. Il est trop connu, on sait trop bien qui il est, réduit à son métier, à ses parents et à sa famille, enfermé dans l’horizon immédiat. C’est alors que Jésus prononce une des paroles les plus célèbres de l’évangile, qui d’ailleurs est passée en proverbe, a été intégrée dans la sagesse des nations : « Nul n’est prophète en son pays » ou plus précisément : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison ».

S’il est vrai que cette maxime a permis à bien des gens de se poser en victime, comme s’il suffisait d’être ignoré ou incompris de ses proches pour être un vrai prophète, elle reçoit une certaine évidence dans la vie de nos modèles que peuvent être les saints. Rappelons-nous cette sœur du Carmel de Lisieux qui se demandait ce que la supérieure pourrait bien dire au sujet de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, après sa mort, tant son existence lui paraissait dépourvue de relief et d’intérêt. Cette sœur aurait été bien étonnée si on lui avait dit que sœur Thérèse Martin serait un jour Docteur de l’Eglise et que ses petites réflexions spirituelles seraient traduites en une soixantaine de langues, mais plus encore peut-être qu’on parlerait encore un siècle plus tard de sa vision bornée et de son aveuglement d’ailleurs parfaitement innocent.

« Nul n’est prophète en son pays ». Quelle actualité peut avoir cette parole évangélique ? Tout à l’inverse de nous prendre pour des prophètes incompris ou des saints méconnus, il s’agit plutôt d’entendre et de voir là où nous sommes, là où la grâce nous permet ou demande d’être : famille, communauté religieuse et paroissiale, milieu professionnel, cercles d’amis, mouvements, chorales, que sais-je ? Entendre ce qui n’est pas dit, voir ce qui n’est pas montré. Souvent on devra entendre comme un murmure au milieu du tintamarre et des bruits qui parasitent; voir ce qui est caché ou du moins discret, en dépassant les apparences, les jugements hâtifs, les idées toutes faites et préconçues. « Nul n’est prophète en son pays », dit le Seigneur dont le commandement premier est pourtant d’aimer son prochain, c’est-à-dire celui qui est proche, ou plus exactement celui dont on s’est rapproché.
Peut-être le message d’amour du christianisme, de charité (ce mot admirable si galvaudé) pourrait se traduire en une expression toute simple, très facile, une petite voie en quelque sorte : « se rapprocher ». Avant d’aimer les autres au sens plein du terme, réclamé par l’évangile, ne convient-il pas d’abord de s’intéresser à eux, mais vraiment, pour de bon, au-delà du « ça va ? » qui nous permet de courir à nos propres affaires, même si je sais bien que certains « ça va ? » disent bien plus qu’ils n’en ont l’air.

Quand on se rapproche vraiment des gens, c’est-à-dire avec un cœur ouvert et tout spécialement de ceux qui nous sont proches, que ne découvre-t-on pas alors comme merveilles cachées, comme grâces reçues, comme épreuves surmontées, comme désirs offerts ou ouverts ? De minuscules et inappréciables prophéties s’y révèlent pour notre propre vie. Nous pensions donner et nous recevons; nous pensions enseigner et nous apprenons. Quelle ouverture quotidienne et étonnante que de partir à la découverte de notre famille, de nos amis, de notre propre maison !

Mais pour mener cela à bien, il convient de se trouver à l’unisson de ceux que nous côtoyons. Non pas nécessairement de leurs idées, de leurs goûts, de leurs options, mais en essayant d’établir ou de maintenir avec eux cette proximité, ce rapprochement fait du respect de la liberté de l’autre mais aussi et d’abord d’une vraie bienveillance, si vous me pardonnez d’employer encore un mot suranné.

En ces jours de festival, on me permettra, pour me faire comprendre, d’employer une métaphore musicale. Pour chanter ou pour jouer d’un instrument, que ce soit comme soliste ou dans un chœur ou dans un ensemble, il faut savoir écouter les autres, se mettre dans le ton et garder le rythme.

Federico Fellini, dans un film célèbre, a montré qu’un orchestre peut être lieu de toutes les passions, des ressentiments et des irritations, mais nous savons bien qu’il doit être, pour jouer authentiquement, un lieu de communion. Cette unité qui conjoint tant de notes différentes est donnée par le chef, celui qui dirige, celui qui unifie.

Dans la vie chrétienne, celui qui donne le ton, le vrai rythme, qui fait une musique de toutes nos vies aux notes différentes, aux instruments divers, c’est le Christ, le prophète rejeté. Qu’en chacun de ceux dont nous nous rapprochons, nous découvrions sa voix prophétique, voilà un beau programme musical pour l’été.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *