Messe du 14e dimanche ordinaire

Abbé Simon Knaebel, à l’église Ste-Thérèse, Fribourg, le 6 juillet 2003.

Lectures bibliques : Ezéchiel 2, 2-5; Marc 6, 1-6

Chers fidèles, chers amis auditeurs venus nous rejoindre par la voie des ondes,

Nous voici rendus au seuil de l’été avec ses migrations saisonnières venues, dans notre modernité, remplacer les transhumances d’autrefois. On serait tenté de demander aux textes bibliques de nous rejoindre dans ces circonstances. Il se trouve qu’ils nous emmènent ailleurs, ce qui est d’ailleurs aussi une forme de vacances.

Quand on lit les textes d’Ézéchiel et de Marc, on se trouve en présence de trois personnages ou types de personnages : le peuple (ou la foule ou les gens), le prophète (Ézéchiel ou Jésus), et un troisième personnage, pluriel, que l’on va appeler les destinataires de l’intervention du prophète ou bien ceux vers qui le prophète est envoyé ou bien encore nous-mêmes. Car, dans le passage parallèle à celui-ci chez Luc, Jésus conclut la lecture du passage d’Isaïe sur les bienfaits du Messie (« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré pour porter aux pauvres la bonne nouvelle, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue ») en disant : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture ».

Le peuple est décrit, dans notre extrait du livre d’Ézéchiel, comme « révolté » depuis leurs pères contre Dieu. Il a le « visage dur », le « cœur obstiné ».

C’est dans ce contexte qu’Ézéchiel est envoyé : « C’est à eux que je t’envoie, et tu leur diras : ’Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ ». Dieu ne cesse d’aller à la rencontre de l’homme, malgré la dureté de son cœur. Dieu est à la recherche de l’homme. « Alors qu’ils t’écoutent ou qu’ils s’y refusent (…) ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux ». Le Seigneur va jusqu’à accepter la possibilité de l’échec. Il affronte les cœurs endurcis. Rien ne peut arrêter sa parole. Vous connaissez sans doute ce beau passage du livre d’Isaïe :

« La pluie et la neige tombent du ciel, mais elles n’y retournent pas sans l’avoir rendue fertile. Ainsi en est-il de ma parole, du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans avoir produit son effet, sans avoir réalisé ce que je voulais » (Is 55,10-11).

Par avance, Ezéchiel sait que son auditoire sera endurci (« eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur et le cœur obstiné ») et lui-même devra bénéficier d’un endurcissement (« Je rendrai ton visage (ton front) dur comme le diamant » Ez 3, 8-9). Le prophète devra affronter le peuple, front à front, face à face. Au bout de cet affrontement, vient le constat : « Ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux ». En effet, « la parole passe à la jointure de la moelle et des os », au centre de notre personnalité. Elle ne laisse pas indifférent. Accueillie ou non, elle poursuit son chemin à travers l’engagement et le témoignage d’un homme éventuellement seul, incompris, rejeté. « Ma parole ne descend pas sur terre et ne remonte pas sans avoir produit son effet » (Isaïe 55, 11).

Cette parole sera proclamée de toute façon. Les hommes sont libres de l’accueillir ou de la rejeter. Mais ils savent que la parole de Dieu est portée par des hommes (des « prophètes »). Le prophète tient sa force de Dieu, non de soi-même. Seul, il ne serait pas capable de porter cette parole et d’assumer l’affrontement avec son peuple. Si le prophète est un homme de parole, c’est parce que c’est un homme de foi. La force que Dieu lui communique est au moins aussi forte que l’échec prévisible. Voilà le paradoxe de la foi d’Ezéchiel et son dur chemin de prophète.

Ce destin ingrat, Jésus l’assume à son tour. Lui aussi est en butte à l’incrédulité et aux railleries de ses compatriotes. L’évangéliste Marc nous le montre essuyant un échec à Nazareth, sa patrie. Les auditeurs ne contestent pas la puissance et la sagesse qui émanent de sa personne ; ils s’interrogent sur l’origine d’un tel pouvoir. Est-il pensable que Dieu choisisse comme envoyé un charpentier, dont tout le monde, à Nazareth, connaît les frères et les sœurs ? Marc note laconiquement que Jésus « était pour eux une occasion de chute » et que lui-même « s’étonnait de leur manque de foi ». Rejeté par les siens, il devra donc aller, errant, sans même une pierre où reposer la tête. Son errance sera cependant la terre de sa liberté de prophète. Elle montrera la force du travail de la grâce en lui. Elle témoignera de son intimité avec le Père.

En face, on l’aura compris, ce qui est en cause est la foi manquante des contemporains de Jésus. Ils ne peuvent pas croire que la force de Dieu peut habiter quelqu’un qu’ils connaissent. C’est ici que le texte de l’Evangile jette une lumière crue sur notre temps comme sur tous les temps. Dans l’expérience quotidienne déjà, le « cœur endurci », c’est-à-dire la dureté de nos relations, empêche de reconnaître en l’autre les qualités qui fondent sa dignité et font de lui quelqu’un d’unique. L’autre est aimé de Dieu, fait à son image et placé auprès de moi pour me dire une parole qui vient d’ailleurs et me montre le chemin.

 

Mais le regard dépréciatif ou « mauvais » que nous portons parfois sur l’autre, nous le portons au fond d’abord sur nous-mêmes. Combien de fois n’avons-nous pas frôlé le découragement, et même le désespoir, faute d’avoir cru en nous-même, en notre générosité et en notre dynamisme foncier au service d’un appel que Dieu nous a très concrètement adressé. La rébellion des contemporains d’Ezéchiel ou la perplexité des compatriotes de Jésus sont des dispositions qui nous habitent volontiers en raison de ce manque de la foi qui est aussi la fermeture au monde de Dieu présent en nous et autour de nous. Et l’Evangile nous prévient : si nous maintenons cette dureté du cœur et la fermeture de notre foi, alors la parole passera ailleurs. Elle fécondera d’autres terres. En effet, l’Evangéliste poursuit en disant : « Jésus se met à parcourir les villages d’alentour en enseignant ». Tel est le mystère de la liberté de l’homme d’accueillir la parole ou de la refuser. Telle est aussi la liberté de Dieu d’appeler d’autres que nous.

Dans nos villes et villages, nos rues et nos maisons, autour de nous, dans les hôpitaux, il y a tant d’hommes, de femmes, de jeunes qui crient leur mal de vivre et la souffrance de n’être pas compris. Nombreux sont aussi les parents qui désespèrent de trouver le chemin d’un authentique dialogue avec leurs enfants. Ne nous faut-il pas apprendre et réapprendre sans cesse à entendre et à voir ceux qui nous entourent comme des prophètes en puissance, des gens qui nous annoncent qu’il y a une perspective au-delà de notre vision bornée des choses ? Ne nous faut-il pas percevoir, dans les foules solitaires qui nous entourent chaque jour, ces paroles qui ne demandent qu’à être entendues et libérées pour dire que Dieu nous ouvre un chemin ?

Le Colloque Européen de Paroisses voudrait permettre à des paroles de se dire. Il voudrait nous apprendre à les écouter, afin qu’à cause de la Parole de Dieu s’ouvre l’avenir de l’homme.


 

 

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