Messe du 14e dimanche du Temps ordinaire

 

Abbé François-Xavier Amherdt, au Centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 5 juillet 2009
Lectures bibliques :
Ezékiel 2, 2-5; 2 Corinthiens 12, 7-10; Marc 6, 1-6 – Année B


La force dans la faiblesse

« C’est quand je suis faible que je suis fort », clame Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens.
La force dans la faiblesse, quel paradoxe ! Paul l’athlète qui vante sa faiblesse, quel contraste ! Paul, le puissant argumentateur, qui exalte son impuissance, quel étonnement ! Vanter la toute-faiblesse de notre monde où tout nous pousse à la toute-puissance, à la performance et à l’efficacité, quelle dérision !

Ma grâce te suffit
Et pourtant, nous avons dans cette deuxième lecture le cœur de la spiritualité chrétienne, la quintessence du message de l’Apôtre. Nous l’avons mieux compris au long de l’année paulinienne qui vient de s’achever avec la fête de Pierre et Paul, lundi passé 29 juin. Tout Paul est ici résumé : chaque apôtre peut y trouver ses motivations profondes, n’importe quel chrétien, n’importe quelle baptisée peut y puiser ce qui un jour ou l’autre lui permettra de tenir le coup.
J’ai envie de l’inscrire au frontispice, au seuil de l’année sacerdotale ouverte le 19 juin dernier, avec la célébration du Sacré Cœur de Jésus. J’ai envie de reformuler les quatre sentences du paradoxe chrétien qui forment comme les quatre extrémités de la croix du Calvaire, ou les quatre piliers de la sagesse du Christ.

D’abord deux phrases que nous adresse Jésus :
– « Ma grâce te suffit »
– et « Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ».
Puis deux déclarations de Paul :
– « Je n’hésiterai pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi. »
– enfin « Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

La force de l’apostolat
Puissance, faiblesse…  Nous n’aimons pas du tout être faibles. « C’est quand je suis faible que je suis fort » : comment entendre cela ? Pour le comprendre, il faut considérer la situation de Paul avec les Corinthiens. Des prédicateurs orgueilleux attaquent vigoureusement l’Apôtre en disant : « Regardez comme il fait le crack, comme il joue au caïd ! Mais en réalité, c’est un faible ! ».
« Un apôtre faible, qu’est-ce que c’est ? », réplique Paul. « Et qu’est-ce qu’un missionnaire puissant ? » Il nous renvoie à la réponse faite précédemment dans la même épître, et qui peut valoir pour tout candidat au sacerdoce, prêtre, religieux – religieuse ou engagé laïc : « Ce n’est pas celui qui se fait valoir lui-même qui a de la valeur, mais celui que fait valoir le Seigneur. Pas celui qui se recommande lui-même, mais celui que recommande le Seigneur » (2 Co 10,18).
Celui qui s’appuie sur ses seules compétences humaines obtient des résultats ridicules. Même s’il y ajoute l’argent, l’éloquence brillante, ou les pistons. Thérèse d’Avila, la grande Thérèse, l’avait expérimenté dans ses fondations de couvents : « Thérèse, ce n’est rien, affirme-t-elle. Thérèse et trente ducats, c’est un peu. Thérèse et le Seigneur, c’est tout. »

L’exemple de Paul
Paul avait raconté ses exploits missionnaires. Aux yeux de certains, il avait paru se vanter. D’autres s’étaient sentis écrasés par sa réussite apostolique. Comme s’il se surestimait, se surévaluait, et paraissait ainsi loin du commun des mortels et des autres prédicateurs. On n’aime pas ceux dont la tête dépasse la moyenne. Du sommet de cette surestime, Paul découvre, pour lui et pour nous, le véritable mystère de la puissance et de la faiblesse qui se révèle à un apôtre, si vraiment il est apôtre, le mystère qui se manifeste à un disciple du Christ, si vraiment il est disciple. « Sans Dieu, rien ; avec Dieu, tout ».
Bien sûr, c’est dans l’Évangile. Bien sûr, nous l’avons déjà souvent entendu, prêché, répété. Mais, insiste Paul, pour que ça entre, il faut que la vie nous gifle. Pour que ça nous pénètre dans le cœur, il faut que la vie nous secoue. Et la vie l’a giflé, l’a secoué.

Une écharde dans la chair
Il a dans sa chair une écharde, un aiguillon, un envoyé de Satan. Quelle était exactement cette écharde, cette humiliation ? Peut-être une maladie, pensent certains commentateurs, une épreuve torturante et invalidante. Ou une désolation spirituelle, un combat dû au Diabolos, ainsi qu’il le dit lui-même ? Quoi qu’il en soit, cela lui rendait la vie si difficile qu’il y avait de quoi baisser les bras, se sentir vidé, rabaissé, humilié. Comme tant d’épreuves ou de maladies qui nous assaillent et nous laissent démunis.
C’est alors que nous pouvons recevoir la puissance de Dieu, la seule vraie puissance. A condition de nous garder de deux erreurs.

La première est celle du chrétien doué de toutes les qualités, physiquement et psychologiquement solide, jeune cadre dynamique, jeune clerc sûr de son fait, de son sacerdoce et de ses convictions. Celui-ci va croire que tout seul il peut faire des merveilles, sauver le monde et changer la face de la terre.
Jusqu’au jour où lui aussi sera giflé. Démoli, découragé, percevant le peu d’efficacité de sa parole, de son activité. Alors il risque de tomber dans la seconde erreur : ruminer seul échecs et humiliations, entrer seul dans les souffrances et le délabrement physique et conclure « je ne peux plus rien, je n’en peux plus, je suis fichu ». Et c’est le burn-out, ou la déprime.

Proche
Paul nous paraît ainsi beaucoup plus proche. Comme nous tous, il vit des faiblesses. Et c’est alors qu’il devient fort, parce qu’il se laisse faire par la grâce de l’Esprit. Nous avons de la peine à nous identifier à ceux qui paraissent parfaits, inaccessibles parce que sans faiblesses.
Même un Roger Federer a gagné en sympathie et popularité dès le moment où il est tombé malade, où il s’est mis à perdre et à verser des larmes. Plus proche, plus humain, plus simple, plus vrai. Puisant en lui-même, auprès de son épouse et de leur futur enfant, la force de relever la tête, alors que tous les journalistes prédisaient déjà sa chute inéluctable.

Avec Dieu
Dans la vie spirituelle, la clé est là : ne pas vouloir tout faire par soi-même, ne pas chercher à être un « self made man » ou une « self made woman », ne jamais rester seul. Mais travailler avec Dieu, dans la puissance comme dans la faiblesse. Cette étroite union avec le Christ nous révèle vite qu’aucune puissance n’est féconde sans lui, qu’aucune faiblesse n’est stérile tant qu’on reste avec lui.
Nous le savons, nous le constatons autour de nous. Mais nous l’oublions vite. Quand la toute-puissance nous grise, quand la souffrance nous démobilise, revenons obstinément à ce texte de Paul. Surtout quand surgit la faiblesse. Notre faiblesse.
Elle ouvre notre cuirasse, elle nous rend perméables à la grâce, elle permet à l’Esprit d’agir en nous. Si nous le voulons, elle sera une nouvelle puissance, une autre puissance avec Dieu.
Paul ne dit rien d’autre, dans toutes ses lettres ! Comme dans celle aux Éphésiens que nous avons étudiée cette semaine à la session de l’ABC, le Christ nous relève, il tue la haine, il nous sauve et nous communique sa force.

Notre foi
A condition que nous nous ouvrions à son action. Car sans nous, il ne peut rien faire. Sans notre foi, il est lui-même impuissant. Ainsi que Jésus à Nazareth, impuissant devant l’obstination de ses compatriotes. Ses proches l’enfermaient dans leurs catégories : « Mais il est le fils de Marie, le fils du charpentier. Comment peut-il faire preuve d’une telle sagesse ? »
La foi, c’est croire que Dieu peut agir en nous. C’est vouloir que sa puissance se déploie en nous. Vouloir, tout est là. Dans la pire faiblesse, ne pas rester seul, nous abandonner au Christ et l’entendre dire « Ma grâce te suffit ». Croire, répéter en le regardant « Ta grâce me suffit ».
Alors il peut faire en nous des merveilles. Il nous donne de redevenir le numéro un au « classement spirituel mondial ». Je lisais l’interview de quelqu’un qui, au moment d’entrer dans l’âge où il sentait ses forces sur le point de décliner, complétait Paul avec humour : « Ta grâce me suffira, Seigneur, je le crois. Mais fais que jamais je n’en vienne à penser qu’elle n’est pas à la hauteur. »

 

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