Messe du 13e dimanche ordinaire

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, au centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 27 juin 2010
Lectures bibliques : 1 Rois 19, 16-21; Galates 5, 1, 13-18;Luc 9, 51-62 – Année C

 

Mousse et Louis sont jeunes, beaux et riches ; ils s’aiment. Devant eux s’ouvre un avenir de bonheur, que la drogue anéantira brutalement. A ce couple de soi-disant adultes, il manque une orientation, un choix de vie. François Ozon –  le cinéaste du film que je cite, «Le refuge », son dernier long métrage – s’attache à décrire les hésitations des adultes, leurs fluctuations. Leurs vagissements : c’est bien ainsi qu’il faut appeler leur conduite de vie, tant ces adultes-là semblent naître en même temps que leur bébé. Une génération qui n’est pas prête à  assumer ses responsabilités; il lui manque une orientation de vie, un style, une manière d’être au monde.

Or, il me semble, frères et sœurs, que la question profonde du choix de vie traverse tout l’Evangile de notre dimanche. Non pas toutefois que l’Evangile nous dise : choisissez le Christ, tenez-vous en à sa ligne, et tout ira bien pour votre couple, vous n’aurez plus de problèmes ! Je prétends au contraire que suivre le Christ ne simplifie aucunement notre existence. A prendre son chemin, voici que « tout se complique » – pour citer le titre d’une célèbre bande dessinée (Sempé). Enoncé selon le vocabulaire de Jésus, nous entendons alors : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » (Lc 9, 58)  Jointe aux deux autres paroles de Jésus, lesquelles répondent à chaque fois à un désir de suivre le Christ – ce désir qui déjà fait de nous des disciples du Maître-, cette parole tissée d’images simples et fortes signifie deux choses.

Tout d’abord que la ligne de notre vie, ligne à laquelle le disciple tâche de se tenir, est un chemin. Thème dont la méditation de l’évangile selon Luc nous rend familier. Or qui dit chemin, dit affrontement et épreuve. Le Christ lui-même a passé par là : « Il prit avec courage la route de Jérusalem » (Lc 9, 51). L’expression se veut solennelle, elle marque le départ de Jésus pour la ville où il subira la Passion. L’expression renvoie au prophète Isaïe (50, 7) et qualifie la mission du disciple : « je ne cède pas aux outrages, j’ai rendu mon visage dur comme un silex ». Non pas que la suite du Christ fasse de nous des « durs » au sens d’hommes et de femmes qui manqueraient de souplesse et de douceur. Du reste le même prophète Isaïe qualifie également le disciple comme celui qui sait soulager le faible et comme celui qui écoute l’autre, qui se laisse « ouvrir l’oreille » (cf. Is 50, 4). Le disciple de Jésus est un « dur » au sens où il résiste quand survient l’épreuve, où il ne lâche pas les exigences. C’est le second aspect signifié par la triple parole du Christ – avec les images des renards qui n’ont pas de terriers, des morts qu’il faut laisser enterrer leurs morts et de la main à garder sur la charrue. L’enthousiasme du premier amour doit tôt ou tard accepter d’être déstabilisé. Avec une belle passion vous avez commencé une route à deux, et vous vous rendez compte que « Rien n’est simple » mais que « Tout se complique » (Sempé), pour autant que vous restiez fidèle à ce qui a été commencé entre vous. Il en va ainsi de tous nos engagements : vient le moment difficile, l’instance de l’épreuve, où je suis sommé de répondre. La maladie elle-même est pour le disciple un chemin de vie : vais-je simplement me réfugier dans le mal qui me frappe ? Ou bien est-ce que je lui fais front chaque jour pour m’en libérer ?(1) Pour rester accueillant, ouvert et confiant.  Voilà bien cette « dureté » que le prophète Isaïe et l’évangéliste Luc reconnaissent sur le visage du Christ. Dureté qui – le paradoxe n’est qu’apparent –   rejoint la béatitude des doux : heureux sont-ils, ils auront le Royaume en partage (cf. Mt 5, 4).

A la suite du Maître, le disciple est donc un « résistant » (2) , de cette résistance messianique dont le psaume 15 nous entretenait tout à l’heure. « Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite, je suis inébranlable. » Résistance que le psalmiste désigne comme un chemin de joie et de confiance. Rejoignons une fois encore pour terminer l’évangile de ce dimanche : l’intervention de Jésus alors que ses disciples, déçus par la pesanteur humaine et ses refus, voudraient céder aux représailles,  à la violence. La figure des Samaritains est symbolique : symbolique de la résistance de l’autre, de celui qui se sent bien là où il est et qui ne voit pas pourquoi il faudrait en changer. Symbolique de ces gens qui n’y comprennent rien parce qu’ils hésitent à entrer dans votre projet, et que vous voudriez broyer. « Mais Jésus se retourna et les interpella vivement. » La résistance selon Dieu se déploie dans la confiance. Le dessein de Dieu ne s’accomplit que dans le pardon, le dialogue et la souffrance. Tel est le chemin que le Christ me propose si je veux bien le suivre. Telle est la stratégie divine pour susciter des disciples et des communautés nouvelles. Sans quoi l’enthousiasme des commencements, la passion des premières amours, risqueraient de nous tourner vers la violence et la haine.


(1) Voir 2ème lecture Ga 5, 1 : Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage.

(2) Comment ne pas penser à l’appel du 18 juin 1940, lancé par le général de Gaulle à la radio de Londres ? « Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant, rien n’est perdu ! »

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