Messe du 13e dimanche du Temps ordinaire

 

Abbé François-Xavier Amherdt, au Centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 28 juin 2009
Lectures bibliques :
Sagesse 1, 13-15; 2, 23-24; 2 Corinthiens 8, 7-15; Marc 5, 21-43 – Année B


Généreux, faits pour la vie

Généreux : de la race de Dieu

Généreux, générosité : les termes sont beaux. Ils désignent ceux qui ont un grand cœur, une âme expansive, ceux qui sont d’une race noble, du mot « genus » en latin qui veut dire la race, la lignée. Être généreux, c’est être de la race même de Dieu, lui qui crée avec abondance des myriades d’étoiles, lui qui se répand sans mesure, « Deus diffusivus sui », Dieu qui se diffuse lui-même et qui se donne sans compter. Quand on songe aux milliards de milliards de galaxies qui composent notre univers, il y a de quoi perdre la tête.
Être généreux, c’est s’inscrire dans la lignée du Seigneur, lui qui n’a pas fait la mort mais la vie, ainsi que le clame le début du Livre de la Sagesse, lui qui l’a semée abondamment dans le cosmos, les animaux et les humains. Lui qui a modelé l’homme à son image pour l’immortalité, qui n’a pas voulu le poison destructeur de la mort, mais qui a installé sur la terre la puissance immortelle et bienfaisante de sa justice.

La générosité a affaire avec la vie, parce que Dieu est la vie et nous sommes faits à sa ressemblance. Nous sommes de la race divine, destinés à la vie éternelle. La jalousie du diviseur et l’égoïsme de la mort n’auront pas sur nous le dernier mot.

Généreux, engendrés à la vie de Dieu

Ce qui est magnifique également, c’est que le mot « généreux » a la même étymologie qu’ « engendrer », mettre au monde, donner la race, le genre, le sexe et l’existence.

Peut-être avez-vous déjà entendu cette expression qui est actuellement sur toutes les lèvres des responsables d’Église, agent pastoraux laïcs, religieux – religieuses, diacres, prêtres et théologiens : On parle de plus en plus de « pastorale d’engendrement ». Non plus d’encadrement, d’imposition, d’obligation ou de seule transmission d’un savoir, mais d’engendrement. La pastorale d’engendrement consiste à mettre en place les conditions de possibilité pour que chacun – chacune se laisse engendrer à la vie même de Dieu, non pas tous selon le même modèle, mais chacun dans son unicité. La pastorale d’engendrement c’est s’émerveiller de Dieu engendrant à sa vie, à son Esprit, c’est discerner les petites pousses de bonté présentes en toute existence humaine et les faire grandir, c’est valoriser tout ce qui est profondément humain en chaque être comme lieu d’émergence du spirituel et du divin en lui. C’est accompagner cet engendrement progressif pour que chaque personne façonne son identité en Jésus-Christ. Une école d’humanité transparente à la présence divine qui l’habite.
 La pastorale d’engendrement, c’est accompagner généreusement cet engendrement à l’Évangile, devenir « passeur » de Bonne Nouvelle pour tous ceux qui sont en quête de sens, de salut et de vie, c’est répondre abondamment à la soif spirituelle de nos contemporains et apaiser notre propre soif.

Généreux comme Jésus

Être généreux, c’est se mettre à l’école du Rabbi Jésus de Nazareth. Dans le récit des deux miracles, imbriqués l’un dans l’autre, que nous propose aujourd’hui le texte de Marc, le Christ se laisse littéralement toucher par la femme hémorroïsse qui perdait la vie, sa vie, jour après jour, depuis douze ans. Car le sang, c’est la vie. Le salut, c’est de nous approcher du Maître, même par derrière, avec une foi toute simple : il nous donne alors sa force de paix et de guérison. Il nous sauve, il nous libère de la crainte, il nous arrache à la peur. Il nous engendre abondamment à notre identité, il nous communique sa propre vie.

Être généreux, c’est nous mettre à l’école du Christ qui se laisse émouvoir, toucher aux entrailles par la supplication de Jaïre, ce chef de synagogue en terre païenne. « Ne crains pas, crois seulement », lui dit Jésus. Puis il relève la petite fille endormie dans le sommeil de la mort. Il lui rend la vie, malgré l’incrédulité et les moqueries autour de lui. Il donne à l’enfant la vie ressuscitée dont le Père comblera son corps crucifié par la force de l’Esprit.

Donner la vie, redonner le souffle ; engendrer, se laisser engendrer, cela bouleverse profondément ceux qui en sont témoins, ceux qui en font l’expérience. La petite fille de douze ans retrouve la vie, comme la femme hémorroïsse après douze ans de souffrance sans vie.

Généreux comme Paul

Se laisser engendrer à la vie de Dieu en partageant généreusement ses biens avec les plus démunis. Se laisser enrichir par la pauvreté du Christ qui s’est fait humble et pauvre serviteur afin de nous combler des biens de sa divinité. Devenir Dieu en Jésus-Christ qui n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais a pris la condition humaine pour nous permettre de participer à sa divinité, voilà l’appel de saint Paul dans la deuxième lecture.

Paul fait de la pastorale d’engendrement, y compris lorsqu’il sollicite la participation de l’opulente Église de Corinthe à la collecte en faveur de la pauvre communauté de Jérusalem. Quel admirable sens pastoral démontre ce sacré Paul, dont nous célébrons demain la fête en compagnie de l’autre colonne de notre Église, saint Pierre !

D’ailleurs il n’a jamais manqué de payer de sa personne, si je puis dire. Il s’est tué à la tâche, il s’est fait manger par les soucis apostoliques, avec l’adage « faites comme je dis ET comme je fais ». Nous avons pu l’apprécier tout au long de l’année paulinienne qui s’achève ce 29 juin 2009. Admirons son doigté et son habileté avec la communauté de Corinthe, car demander de l’argent n’est jamais aisé, mais en faire une contemplation du Christ, c’est vraiment du grand art !

Voyons de plus près son argumentation.

D’entrée de jeu, il rappelle aux Corinthiens dans la deuxième lettre qu’il leur adresse, qu’ils ont reçu largement, généreusement tous les dons. Et ils ont de quoi en être fiers : ils ont reçu la foi, la confiance en Dieu qui permet de tout entreprendre. Puis ces deux charismes dont la communauté de Corinthe aimait à se prévaloir : le don de la Parole et celui de la connaissance, de la science de Dieu. Enfin, ajoute l’Apôtre, la charité, l’ardeur, l’amour que Paul leur a apprise et qui surpasse tous les autres dons.

Ma grâce te suffit

Après les avoir ainsi préparés, il peut leur asséner son interpellation centrale comme un coup droit en pleine face : « Que votre geste de générosité soit large lui aussi ». Il ne se contente pas de motivations purement  matérielles, il nous renvoie au centre de notre foi.
C’est comme cela que procède le pasteur Paul : il puise dans le mystère du Christ la source des réponses à toute question pastorale et pratique. De l’authentique pastorale d’engendrement.

Pour nous enrichir à ce point de sa vie même, il a fallu que le Christ se dépouille de tout, en s’incarnant et en mourant au Golgotha. Donc n’hésitons pas à partager largement, à donner abondamment, en imitant notre Seigneur Jésus-Christ, en regardant la folie et la générosité de Dieu. C’est d’abord une question d’égalité, d’unité et de solidarité entre Églises. Mais plus profondément, c’est une question théologique centrale. Si Dieu nous a tout donné en son Fils par son Esprit, s’il nous a ainsi « passé » sa vie, comment ne pourrions-nous pas à notre tour partager ce que nous avons reçu et engendrer généreusement les autres à la vie dont nous sommes les bénéficiaires, gratuitement ?

« Ma grâce te suffit », c’est-à-dire « ma puissance donne pleine mesure dans ta faiblesse, ma force d’engendrement passe par ta générosité sans retenue », ajoute Paul quelques chapitres plus loin de la même épître. Ne rien garder pour soi ; donner généreusement pour faire place à la grâce. C’est quand je me fais pauvre que je deviens riche, c’est quand je suis faible que je laisse Dieu m’engendrer à moi-même et que je deviens fort.

Générosité, engendrement, une question de vie. De vie divine.

 

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