Messe du 12e dimanche ordinaire

 

Abbé Pascal Bovet, à l’église du Bon-Pasteur, Prilly, VD, le 23 juin 2002

Lectures bibliques : Jérémie 20, 10-13; Romains 5, 12-15; Matthieu 10, 26-33

Vous valez bien plus que les moineaux ! N’ayez pas peur !

A qui Jésus osait parler ainsi : « N’ayez pas peur ! Vous valez bien plus que les moineaux du ciel… » A des employés mis à la porte d’une entreprise jurassienne? A des palestiniens bouclés dans leur territoire ? Ou à des juifs sûrs de leurs bons droits et forts de leur tradition ? A des spéculateurs à l’affût de tout frémissement boursier ? A des tifosi déçus de leur équipe de football ? Au paysan qui s’interroge sur sa récolte incertaine ?
Ou encore à des religieux cloîtrés ou en mission ? des évêques et des prêtres déboussolés par les changements, les « affaires » ou plus banalement par le fait qu’ils sont de moins en moins nombreux ?
A des communautés qui trouvent qu’elles sont en perte de vitesse ?
Ces paroles, ne sont-elles que de belles phrases pour mieux faire passer la douleur de la vie ? Une belle promesse de plus pour avancer vers un soir enchanteur ? D’ailleurs, existe-t-il ce soir enchanteur ?

Selon Matthieu, Jésus s’adresse « aux siens », ceux qui ont fait un bout de chemin avec Lui, ses disciples, ou plus exactement, ses douze apôtres dont nous avons lu la liste dimanche dernier : souvenez-vous, en commençant par le premier, Simon, dit Pierre, en passant par un Matthieu, publicain de métier et, fermant la marche, un certain Judas, dit Iscariote.

Des Pierre, des Matthieu, des Judas, tous des choisis, mais à quels risques ! Jésus devait sûrement se dire à lui même « N’aie pas peur de les engager ! » C’est pourtant à eux que Jésus, durant sa vie, confie la mission d’annoncer que le Royaume de Dieu est proche et d’en donner des signes par des guérisons étonnantes. Et c’est encore eux qu’il envoie dans le monde baptiser toutes les nations. On est donc dans un climat de mission et non de conquête.

Devant la grandeur de la tâche, de ses inconnues, de ses difficultés, qui ne se mettrait à craindre ? Ce serait même que un signe de santé psychique ! Ne craignez pas les hommes… tout doit être mis à jour… Ils ne peuvent que faire taire un homme, mais ils ne peuvent empêcher l’Esprit de travailler. Combien d’hommes et de femmes, au cours des vingt siècles traversés par une tradition chrétienne, ont eu à craindre les hommes ou qui en ont souffert jusqu’au don de leur vie… Et même avant le Christ, selon la plainte de Jérémie le prophète, que nous avons entendu à la première lecture.

A quelques siècles d’eux, voici dans notre monde, toujours le même malgré son évolution, des baptisés, par milliers ou millions, des ministres ordonnés, moins nombreux il est vrai, sans nécessairement partir au loin, sont porteurs de ce même message: le Royaume des cieux est là, commencé, non achevé, devant nous, à construire avec le maître de la moisson.
Cette Bonne Nouvelle, cette annonce du Royaume de Dieu pour aujourd’hui comme pour autrefois a de multiples facettes. L’une que l’on peut tirer de notre passage d’Evangile est bien celle-ci : vous valez plus que les moineaux du ciel, ou encore que vos cheveux que vous avez ou que vous avez abandonnés…

Même ce qui est petit, méprisé, est dans la main de Dieu et rien ne peut lui arriver. C’est alors une Parole qui rencontre les petits de ce monde et leur redonne une dignité, eux que l’on qualifie si facilement de marginaux, de « nuls », d’insignifiants, d’improductifs, de dépassés, de hors-course comme s’ils avaient déjà quitté la vie sociale. Car ils ne sont plus en mesure – ou on ne leur donne plus la possibilité – de tenir un rôle dans la société, ils passent pour inutiles, inintéressants, sans valeur. Et pourtant combien d’entre eux donnent des leçons de confiance, d’humanité !

En tant que prêtres, nous sommes souvent appelés à accueillir des personnes en vue de l’inhumation d’un proche. Combien de fois n’entend-on pas ces propos : « Il – elle- a eu la vie rude… pas grand chose à dire… Vous savez, elle ne pratiquait pas beaucoup, mais au fond d’elle, quelle foi !… ça se sentait, mais ça ne se disait pas ». « Ma mère, je ne l’ai jamais entendu prier depuis longtemps. Mais ces derniers mois, elle disait si souvent : Que Dieu vienne me prendre ! »
Et alors, on ne feuillète plus le calendrier pour trouver les noms des 752 saints de l’Eglise, on en voit défiler beaucoup, dont on oublie rapidement le nom , mais qui laissent ici la trace de leur passage : ils n’ont pas craint les hommes, ils ont témoigné de ce qui les habitait avec leur moyens, pas toujours ceux que l’on attendait. Ils ont dit Dieu à leur manière et Jésus ne les reniera pas devant son Père qui est aux cieux.

Vous avez certainement entendu la réponse de Soeur Emmanuelle à la question du ciel de la bonne Nouvelle de l’Expo.02 : « Qui es-tu pour Dieu ? » Elle a répondu : « Je suis unique pour Dieu comme chaque être humain qu’il aime personnellement. » Cette réponse prend tout son poids dans la longue présence de la sœur auprès de tant de gens qui avaient des raisons de se croire rejetés comme les ordures du Caire. Avec Soeur Emmanuelle, ce sont ces milliers de petites gens qui peuvent dire, car ils ne savent certainement pas tous écrire : « Nous sommes uniques pour Dieu, et c’est notre dernière chance. » C’est bien dans la veine de plusieurs réponses publiées cette semaine par l’Echo Magazine : « Je suis une servante », « Je suis un ami très aimé » , « Moi, je suis pour Dieu un enfant, lui me pardonne pour mes péchés » , et cette dernière qui traduit magnifiquement l’Evangile d’aujourd’hui : « Je suis l’enfant bien aimé du Père, son trésor, sa joie, et cela justement parce que je fais partie des pauvres, ces préférés de Dieu. »
Voilà donc quelques expressions, quelques réponses, qui n’ont rien de scientifique, mais qui sont autant de cris du cœur; et dans de tels cœurs, on peut voir le Royaume de Dieu à l’œuvre.

Ne craignez pas ! Aucun de ces ternes moineaux n’est ignoré de Dieu. Tous les plus petits parmi vous sont ses préférés… Parole d’Evangile, ou, si l’on préfère en français : Bonne Nouvelle. On peut craindre la dureté des hommes, leur méchanceté, leur domination, mais il y a cette dignité que personne ne peut enlever : je suis précieux aux yeux de Dieu et lui s’en souvient ! A moi de ne pas trop l’oublier.

Au fait, même sans vous déplacer à Morat, laissez donc passer l’ange chez vous, dans votre chambre, dans votre cuisine votre voiture ou votre jardin ; maintenant que vous connaissez la question, essayez aussi d’y répondre pour vous-même durant cet instant de silence : Qui es-tu pour Dieu ?

 

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