Messe du 11ème dimanche ordinaire

 

Abbé Canisius Oberson, à l’église du Landeron (NE), le 12 juin 2005

Lectures bibliques : Exode 19, 2-6; Romains 5, 6-11; Matthieu 9, 36 -10,8 – Année A

« Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles, parce qu’elles étaient fatiguées et abattues, comme des brebis sans berger. » Frères et sœurs, chers amis, n’oublions pas ce regard de Jésus sur les foules. Ce regard de Jésus, il est le même que celui de Dieu autrefois, lorsqu’il avait vu la misère de son peuple esclave chez les Égyptiens.

Aujourd’hui les foules que Jésus regarde chez nous, en ce début de XXIe siècle et dont il a pitié, ne sont plus les mêmes et ne vivent plus les mêmes conditions de vie. Pour autant, n’ont-elles pas besoin encore de ce regard de Dieu, du Christ sur elles, ce regard qui ne juge pas, mais qui sauve, relève, délivre des nouveaux esclavages de notre temps ?

La technique, la technologie ont délivré l’humanité de beaucoup de travaux dont la pénibilité physique cassait les gens, mais aujourd’hui les rythmes de travail, les impératifs de rendement en conduisent beaucoup chez les médecins, à l’hôpital, quand ce n’est pas au cimetière.

Ainsi n’ont-elles pas besoin d’un regard de bienveillance et de compréhension, par exemple, ces caissières de nos grandes surfaces, affairées à faire défiler sans fin nos achats devant leurs caisses, avant de rentrer s’occuper de leurs enfants et du mé-nage ? N’ont-elles pas besoin d’un regard d’amitié et de compréhension, toutes ces personnes touchées par le chômage, ou qui ont un travail si mal rémunéré qu’il ne permet même pas de faire vivre leur famille ? N’ont-elles pas besoin d’un regard tout simplement humain, toutes ces personnes touchées par la dépression, l’incertitude du lendemain, la maladie, la vieillesse, la privation de liberté dans nos prisons ? N’ont-ils pas besoin de notre regard humain, ces enfants nés dans notre pays, qui y ont grandi et qui ont la malchance d’être de parents dont la demande d’asile a été refusée ? Et en définitive n’ont-ils pas besoin, eux aussi, de croiser un regard qui sauve, tous ces esclaves de la finance et de leur fortune bâtie comme un château à défendre et qui ne laisse aucun répit ?

« La moisson est abondante, et les ouvriers peu nombreux », constate Jésus. Comme lui et sur son invitation instante il nous revient de prier pour que les chrétiens ne s’endorment pas sur leur évangile. Il nous revient de discerner et de dénoncer, avec les hommes de bonne volonté de notre temps, toutes les formes subtiles d’esclavage qui écrasent aujourd’hui tant de personnes. Il nous revient de trouver avec eux les chemins de la liberté et du respect de la dignité humaine.

En effet les douze Apôtres, que Jésus appelle à collaborer avec lui, n’y voyons pas que le commencement de ce qui deviendra l’Église institutionnelle ! Regardons-les aussi comme le symbole du nouveau peuple de Dieu, le symbole de l’Église peuple de Dieu. Pierre, André, Jacques, Philippe, c’est aussi toi, Steve, toi, Vanessa, toi, Jo, toi, Marianne, toi, Sandro, toi, oui, toi… Toi, te voici envoyé en mission comme eux, en commençant chez les tiens, dans ta famille, dans ta paroisse, dans ton lieu de travail, pour proclamer par ta manière d’être que le Royaume de Dieu est tout proche, en te battant à tous les instants pour les valeurs de l’évangile, pour défendre la dignité humaine partout où elle est aujourd’hui remise en cause, chaque fois que des personnes sont traitées comme si elles étaient de deuxième catégorie.

« Chassez les démons », dit Jésus, non pas des petits lutins imaginaires qui habiteraient le cœur des gens, mais cet esprit qui voudrait faire croire que c’est en tirant égoïstement la couverture à soi qu’on se sauvera, que c’est en accumulant des fortunes au détriment des autres et de la justice, que l’on trouvera le bonheur. Chassez ce démon qui consiste à croire que la Suisse, l’Europe, le monde construiront leur avenir en érigeant l’égoïsme en système…

« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », dit encore Jésus. Encore faut-il avoir conscience de ce que nous avons reçu : je veux dire, ici, non pas tellement matériellement, mais : l’évangile. Le chrétien reçoit gratuitement, dans la prière, dans la rumination de l’évangile, le trésor de ce regard de tendresse que Jésus porte sur toute personne humaine. Mais ce trésor, il n’en devient vraiment un que s’il est partagé, c’est-à-dire, si notre regard sur les autres épouse le regard même de Jésus : ce regard qui relève, qui redonne l’espérance, qui sauve ; ce regard de gratuité au moment même où tout devient payant, marchandise, source de profit.

« Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson », et apprenons à regarder autour de nous avec un regard de compassion et d’émerveillement, juste pour la beauté de la vie, et pour la gloire de Dieu, ce qui est un peu pareil ! – Amen.

 

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