Messe du 11e dimanche du temps ordinaire

 

Chanoine Claude Ducarroz , au Monastère de la Visitation, Fribourg, le 14 juin 2009
Lectures bibliques : Ezékiel 17, 22-24; 2 Corinthiens 5, 6-10; Marc 4, 26-34 – Année B


Fils d’agriculteurs, venu des plaines à blé, j’aime Jésus de Nazareth quand il se montre paysan. On le remarque dans l’évangile de ce jour : le fils du charpentier a observé de près les cultivateurs de son village. Il peut décrire avec précision les phases d’évolution du blé ou de la moutarde, depuis les semailles jusqu’à la moisson : rien ne manque !

L’évangile n’est pas un traité de botanique ni d’agronomie. Comme le rappelle Marc, « par de nombreuses paraboles de ce genre, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. »

Nous sommes ses disciples d’aujourd’hui, que nous soyons parmi les pratiquants du dimanche, par exemple dans cette chapelle de la Visitation à Fribourg, ou alors seulement des intéressés, volontaires ou par hasard, à l’écoute de la radio suisse romande.

Que veut nous dire Jésus dans ces deux paraboles végétales ou plutôt paysannes ?
Le semeur – qui est aussi le moissonneur -, c’est évidemment Dieu. Il a semé la vie, avec toutes ses étonnantes capacités d’adaptations et de fécondités, dans le merveilleux mystère de la création. Comment ne pas en être ému, en particulier ces temps-ci, quand la nature est si splendide sous le soleil d’un printemps qui vire à l’été ?

La vie, c’est surtout la vie humaine, tous ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants, avec chacun son destin, confié à la fois aux bons soins des autres et aux vertiges responsables de la liberté. En pensant aux justes de son peuple, le psalmiste peut chanter : « Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur. » Et si nous essayions d’être d’abord des êtres de contemplation et de louange, en regardant l’univers avec les yeux du ravi, et les humains avec ceux de la bienveillance, qui discernent le vrai, le bon et le beau,  plutôt que de gémir sans cesse sur le mauvais et le moche ?
Et puis Dieu a semé encore autre chose. Il a jeté dans la terre de notre monde une Parole, comme un paysan ensemence son champ à l’automne, avec l’espérance de voir grandir le blé, même s’il lui faut affronter les rigueurs de l’hiver avant de rebondir au printemps. Cette Parole, qu’elle soit biblique ou eucharistique, elle a le visage humain de Jésus, elle contient en elle les énergies de l’Esprit. Elle a passé par l’hiver de la mort sur la croix, elle a jailli avec une force inimaginable sous le soleil de Pâques. Elle est encore à l’œuvre dans notre monde, dans l’Eglise des Eglises, bien sûr, mais aussi au delà de ses frontières visibles, dans le cœur de tout homme et de toute femme de bonne volonté.

Comme est vaste, le champ de Dieu dans lequel il a semé et continue de semer sa Parole habitée par l’Esprit ! Nous traçons des frontières, nous dressons des barrières, nous proclamons des critères d’appartenance, mais le geste auguste du divin semeur se plaît à brouiller nos étiquettes et à déborder nos étroitesses. Il sème dans les marges, et même à côté de nos pages, dans ce dynamisme qui peut faire d’un petit grain de moutarde une plante aux longues branches sur lesquelles les oiseaux du ciel peuvent venir faire leur nid. Et sur le grand cèdre de l’humanité, parce que Dieu la travaille par la sève de sa tendresse universelle, toutes sortes d’oiseaux habitent dans ses ramures, pour le joyeux concert, un peu anarchique, d’une louange qui reflue vers la source de toute vie et de tout amour.
Bien sûr, le Royaume de Dieu éclatera pleinement à la saison de la moisson, dont nous ne savons ni le jour ni l’heure. Et c’est tant mieux. Il faut bien laisser à Dieu quelque espace pour les surprises de son amour majuscule. Mais déjà, nous pouvons êtres les témoins de la fécondité de ce Royaume en gestation, en bruissement de vie vers son accomplissement.

Je le vois dans ces parents qui donnent la vie à des enfants, en faisant une incroyable confiance, pleine de beaux risques et de lourdes responsabilités.
Je le vois, ce Royaume en germe, dans les engagements multiples de celles et ceux qui se dépensent pour les autres, même si c’est nécessairement imparfait, dans la vie associative, par des engagements politiques, sociaux, culturels, économiques, écologiques, médiatiques, dans la mesure où ils font passer les intérêts des plus démunis avant les leurs, si respectables qu’ils soient.
Je le vois dans ces innombrables protagonistes de la vie ecclésiale, dans nos communautés grandes ou petites, ces hommes – et surtout ces femmes – qui donnent du temps et surtout eux-mêmes pour que nos Eglises continuent d’annoncer la Bonne Nouvelle à notre monde, avec la nourriture des sacrements et les parfums de la prière.
Je le vois, ce Royaume, dans ces semences de silence, de contemplation, d’accueil et de service que manifestent toutes ces communautés religieuses -comme celle de la Visitation – dans lesquelles nous pouvons venir puiser, sous les humbles espèces d’un partage, comme une anticipation du bon pain de la fête de Dieu, qui nous sera servi par le Christ ressuscité sur la table du Royaume.

Et vous pourriez sûrement allonger la liste, vous qui êtes sensibles aux murmures de l’Esprit jusque dans les vastes plaines de notre société qui ondulent sous le vent de Pentecôte.

L’Eglise enceinte de l’Evangile, c’est le levain du Royaume. Mais il y aussi toute la pâte humaine, depuis les grands champs à moissonner, jusqu’aux jardins secrets de tous ces cœurs animés par un Esprit divin qui, comme le rappelait Jésus, souffle où il veut.

Je voudrais tellement que cette eucharistie, célébrée seulement par quelques religieuses entourées par quelques fidèles amis dans une petite mais belle chapelle de Fribourg, devienne une immense forêt. Quelle puisse réunir pour la louange, mais aussi envoyer au loin comme apôtres, tous les oiseaux du Royaume, puisque nous allons partager le pain et boire à la coupe du sang « versé pour vous et pour la multitude ».
Nous sommes encore en exil, loin du Seigneur, disait l’apôtre Paul. C’est vrai, et il y a quelque impatience, quelque souffrance, quelques problèmes à vivre ainsi dans l’espérance -et non pas dans la jouissance – de la moisson promise.

Contemplons les champs de blé, avec ces épis encore verts, mais déjà gonflés par les grains avides de soleil. Et nous comprendrons avec Jésus combien il fait bon vivre au printemps du monde nouveau. Oui, celui que Jésus a inauguré par sa vie, sa mort et sa résurrection, celui que l’Eglise nous invite à accueillir pour soulever le monde par l’amour, celui que nous pouvons déjà partager avec tous nos frères et sœurs humains, créés à l’image de Dieu, et donc promis comme nous au Royaume qui vient.

 

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