Messe du 10ème dimanche ordinaire

 

 

Abbé Jean-Marie Oberson, à l’église du Landeron (NE), le 5 juin 2005
Lectures bibliques : Osée 6, 3-6; Romains 4, 18-25; Matthieu 9, 9-13 – Année A

Chers frères et sœurs,

Dans ces deux lectures tout est question de regard. En effet, les paroles prononcées par Jésus ne peuvent pas expliquer à elles seules la réaction bien surprenante de Matthieu, le publicain. Il avait la place en or, Matthieu. C’est pas trop fatigant de collecter des impôts et ça rapporte bien. Il devait être bien escorté, protégé par des soldats romains. Il avait ses gardes du corps et il était accompagné d’une démonstration de force capable de convaincre même les plus récalcitrants à se soumettre à l’obligation de payer les taxes exigées pour avoir le droit de rentrer ou de sortir des marchandises de Capharnaüm. Le bureau de Matthieu, le publicain, c’était la TVA de l’époque.

Imaginez, vous êtes bien installé dans votre bureau ou à votre travail quel qu’il soit, et voilà que quelqu’un vient vous inviter à quitter votre poste sans vous laisser le temps de donner la moindre explication à votre employeur. Vous pouvez être sûr d’être licencié, si vous acceptez !

Une telle décision n’exigerait-elle pas réflexion ? Mais Matthieu lui-même, puisque c’est lui qui nous décrit la scène dans son évangile, nous dit que l’homme se leva tout aussitôt et suivit Jésus. Il n’y a pas trace de la moindre hésitation. Luc, dans son Evangile qui relate aussi cet appel de Matthieu, précise qu’il abandonne tout sur place. Luc a tout de même un regard pour ce que Matthieu abandonne. Matthieu ne le mentionne même pas dans son récit ! On a l’impression que son regard est totalement fasciné par celui qui vient de lui dire : « suis-moi ! » Tout le reste n’existe plus pour lui. Ce « suis-moi ! » a une telle importance pour Matthieu, qu’il fait tout disparaître, comme la lumière du soleil fait disparaître la flamme de la bougie bien qu’elle brûle encore. Elle brûle encore au soleil, la flamme, mais elle est totalement inutile.

Quand Matthieu a croisé le regard de Jésus, il a compris que son argent n’était rien face à la perspective que lui offrait son invitation. Je crois qu’on peut dire qu’il s’est produit un coup de foudre entre Jésus et Matthieu. La foudre, vous le savez, permet subitement le passage de l’électricité entre une extrême haute tension et une basse tension, un vide électrique, si on peut dire ainsi les choses. J’en conclus qu’en Matthieu, en son cœur, il y avait un grand vide. En face de lui, il y a le Fils de Dieu; il y a la fournaise ardente de l’amour. Oui, en Jésus, l’Amour de Dieu est présent en notre monde. Matthieu a pressenti ce mystère. Il ne voulait plus de ce vide qui le laissait insatisfait. Certes, il était en sécurité, Matthieu, derrière sa table de publicain, et l’argent ne manquait jamais. Mais il était seul, derrière sa table. On ne venait à lui que par peur des Romains. On le détestait, Matthieu, comme les Romains qui l’avaient assigné à cette tâche.

Au temps du Prophète Osée, aussi, on avait profité d’une certaine prospérité. La religion n’en était devenue que très formelle. Et comme souvent, quand il y a prospérité, il y a les laissés pour compte de la prospérité. Mais voilà que des menaces du côté de l’Assyrie viennent faire prendre conscience de la fragilité des sécurités sur lesquelles on s’appuie. On reprend conscience que seul le Seigneur est le rocher pour Israël. C’est la foi qui est le vrai trésor pour l’homme. Saint Paul le dira aussi à sa façon bien plus tard. Mais la vraie foi, c’est aimer et vivre selon la justice de l’Alliance.

Son Alliance, Dieu l’avait proposée à un peuple qui avait fait l’expérience d’être méprisé au point de se voir réduit à n’être qu’une marchandise à produire, en Egypte. Alors, Dieu propose à son Peuple, qu’il a sauvé de cet esclavage, de devenir témoins d’une autre logique dans les relations humaines. Et cette logique ne peut être vécue que si la connaissance de Dieu et de son Amour remplit le cœur des hommes. Voilà le vrai enjeu de la foi, et cela est encore valable aujourd’hui, certainement. En tout cas, aujourd’hui, pas plus qu’au temps d’Osée, on est très avancé dans l’instauration de relations humaines qui obéiraient à la logique de l’Amour. Il n’y a qu’à voir l’état de notre planète. Les intérêts économiques ou sécuritaires priment le plus souvent sur la recherche de relations vraiment fondées sur la justice. Nous croyants, nous restons convaincus que l’avenir du monde est dans ‘la civilisation de l’Amour’ que nous nous savons appelés à construire.

Cela n’avait pas trop réussi au temps d’Osée. On le reconnaît. Alors on se dit : « Revenons au Seigneur, efforçons-nous de le connaître en vérité ». Dieu aurait dû se réjouir de ces bons sentiments. Mais le Seigneur connaît trop bien notre humanité. Il sait que ces bons sentiments ne sont que brume et rosée fugace. Dès qu’une certaine sécurité sera de nouveau là, on aura oublié tous ces bons sentiments. On se contentera de nouveau d’une religion extérieure, qui n’engage pas le cœur. Sacrifices et holocaustes ne manqueront pas, mais la connaissance, l’amour sincère de Dieu, et l’amour des frères et sœurs qui devrait en découler, se seront déjà évanouis. Il faudra de nouveau un temps d’insécurité pour que les hommes reviennent à Dieu, à de bons sentiments envers Dieu. Et cela reste vrai : c’est étonnant comment les églises se remplissent dès qu’une catastrophe nous rappelle notre fragilité humaine.

Il aurait de quoi désespérer, notre Dieu. Mais c’est là qu’est la Bonne Nouvelle : Dieu ne désespère jamais, car il est Père. Et un Père ne désespère jamais que son fils prodigue va finir par revenir. Et surtout, notre Dieu, il sait bien que nous sommes tous des malades. Matthieu était malade de solitude derrière sa table et ses pièces d’argent. Tout son cœur n’était qu’attente d’un autre regard que celui qu’on posait sur lui. Le regard de Jésus lui offrait pour la première fois ce que son cœur attendait.

Mais ceux qui critiquaient les publicains et les pécheurs, et donc Jésus qui se permet de les fréquenter, n’en sont pas moins malades de leur soi-disant justice qui les a rendus durs, inhumains, impitoyables envers des pécheurs, certes, mais d’abord des frères et des sœurs. C’est l’endurcissement du cœur du Pharaon dans sa politique inhumaine et cruelle, qui lui avait valu les plaies d’Egypte et finalement le désastre de la Mer Rouge. Ils auraient dû s’en rappeler, ceux qui se prétendaient justes, donc vivant dans une proximité du Dieu Juste et Saint. Alors Jésus leur rappelle la parole du prophète qui appelait déjà le peuple de Dieu à l’amour et à la connaissance de Dieu. Mais Jésus se permet une grande liberté dans sa citation. Il dit : c’est la miséricorde que je veux.

Merveille du regard de Jésus : il voit le terrible vide dans lequel les circonstances de la vie de Matthieu ont laissé son cœur. Mais surtout, il sait que Matthieu a un cœur fait pour autre chose si on lui révèle qu’un amour lui fait confiance.

Merveille encore du regard de Jésus : il voit la dureté des pharisiens qui les empêchent de rester miséricordieux et de communier à la miséricorde de Dieu, en un mot, qui les empêchent de connaître le Dieu dont ils prétendent défendre l’honneur. Mais Jésus ne condamne pas leur dureté. Il leur rappelle simplement ce qui est le cœur de la vraie religion, d’une vraie relation à Dieu : la miséricorde. Eux aussi sont appelés à dépasser les barrières qui les coupent du mystère de l’Amour qui seul rend vraiment heureux.

Oui, c’est l’Amour qui ne juge pas, qui ne pose pas de questions, mais qui croit en l’autre, en sa dignité, qui seul fait grandir. C’est de cet amour-là dont notre monde a un universel besoin. Une Mère Térésa et les sœurs de la Charité en ont été les lumineux témoins auprès des plus pauvres, des plus malades. Que notre rassemblement soit signe de cet amour pour vous qui vous sentez seuls, et qu’il nous redynamise dans notre désir d’être toujours plus témoins de l’amour miséricordieux du Seigneur.

 

 

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