Messe du 10e dimanche ordinaire

 

Abbé Bernard Miserez, à l’église des Breuleux, le 9 juin 2002

Lectures bibliques : Osée 6, 3-6; Romains 4, 18-25; Matthieu 9, 9-13

Frères et sœurs,

Aujourd’hui, lorsqu’on lit des biographies de femmes et d’hommes – et Dieu sait si elles sont nombreuses -, il est souvent habituel de trouver dans une vie des moments déterminants. Il y a un avant et un après.

Et si Matthieu avait à raconter son histoire sans doute il nous raconterait, parce que c’est inscrit dans la mémoire de son cœur, cette fameuse rencontre dont l’évangile nous livre le récit.
Un homme bien installé assis à son bureau de publicain de collecteur d’impôts, usant sans doute de tous les privilèges, usant probablement aussi de son pouvoir car qui était mieux placé que lui pour pouvoir se mettre dans la poche quelque surplus, le voilà malgré tout porté par un désir étonnant. Il nous ressemble ce Mathieu. Nous sommes si bien installés dans nos vies, nous croyons réussir même si au fond de nous il y a parfois comme un sentiment d’insatisfaction ou, disons-le autrement, comme un désir de vivre plus. C’est exactement ce qui se passe ce jour-là quant Jésus le regarde, quant il l’invite pour lui dire : « Suis-moi ».

C’est ce désir qui va prendre feu et spontanément celui qui était bien assis dans ses privilèges, bien installé, va se lever pour suivre le Christ. La magie d’une parole, penserez-vous, le miracle d’une parole, je ne crois pas : la vérité de l’instant. Parce que Mathieu a pu reconnaître dans le Nazaréen, dans ce Jésus, celui qui allait devenir le maître de sa vie. Et plus rien ne compte, ni ses privilèges ni même son travail. Il s’embarque dans une aventure qui le conduira plus loin. Et nous l’avons entendu parce que l’évangile y est sensible. De son comptoir de collecteur d’impôts il va être déplacé à une table de fête. Il sera en communion avec d’autres, des pêcheurs, des publicains, mais aussi des pharisiens qui observeront encore ce Jésus qu’ils traquent instant après instant, pour tenter de le prendre en défaut. Suivre le Christ, c’est passer de ce que l’on croit être, un isolement, une installation, à une vie avec d’autres, à une communion possible pour célébrer la présence de Jésus au milieu de nous.

Au fond, Mathieu vient de faire l’expérience du salut et le salut n’est rien d’autre comme le rappelait Adolphe Gesché, un théologien belge que « se désensabler » pour pouvoir retrouver les forces de l’amour au plus intime de nous-même parce qu’il y a en nous la présence de Jésus. Le mot est beau : « désensabler » pour que surgisse la vie, pour que nos existences, quelles qu’elles soient, deviennent plus humaines. Car qu’est-ce qu’être chrétien, sinon devenir humain. Et l’évangile nous en montre le chemin, nous apprend comment devenir libres en nous soutenant avec d’autres pour être vivants du Christ.

Frères et sœurs, aujourd’hui, l’histoire de ce Mathieu, même si elle a beaucoup de ressemblance avec chacune de nos histoires, ne cesse de nous rappeler que chacune de nos vies est une réponse à la proposition de Dieu. Que le salut ne se fait pas comme ça, comme un éclair, mais que jour après jour, instant après instant, nous pouvons accueillir en nous cette force présente au plus intime de nous-mêmes pour devenir des êtres de communion. Et si être chrétien, si la proposition chrétienne, n’est rien d’autre que de nous humaniser parce que notre Dieu s’est fait homme, alors l’évangile comme une parole qui suscite la vie, est à faire retentir partout, dans le cœur de chaque humain, car en l’évangile se trouve la vérité de notre vie. Nous doutons parfois du rôle des chrétiens, de la mission des chrétiens, peut-être parce que nous sommes minoritaires comme on le dit aujourd’hui. N’empêche que les chrétiens, s’ils pouvaient donner un visage à l’homme, révélant celui du Christ, ils tiendraient debout dans ce monde qui les entoure, révélant à leurs contemporains le vrai visage de Dieu. Le salut nous le manifestons aujourd’hui en pensant aussi à toutes celles et tous ceux qui sont en prière avec nous autour de cette table. Nous prendrons de nouveau comme chaque fois un peu de pain, un peu de vin pour le partage. C’est bien dire que notre destinée est faite pour un partage éternel avec Dieu. C’est déjà annoncer et même anticiper ce qu’un jour nous serons, quand dans la communion des saintes et des saints, nous serons à la table des noces de l’Agneau. Aujourd’hui, autour de cette table, Dieu se donne tout entier, pour que nous nous transformions en lui et pour que dans toute rencontre humaine dès maintenant nous laissions surgir la vie à la saveur de Dieu.
Amen

 

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