Messe des peuples

Abbé Marc Donzé, à l’église St-Maurice, Ursy, le 13 octobre 2011
Lectures bibliques : Proverbes 31, 10-31; 1 Thessaloniciens 5, 1-6; Matthieu 25, 14-30 – Année C

 

Un petit garçon est venu me voir tout à l’heure
Avec des crayons et du papier
Il m’a dit : je veux dessiner un homme en couleur
Dis-moi comment le colorier

Ces paroles, vous les avez peut-être reconnues, appartiennent à une chanson d’Hugues Aufray intitulée « Les crayons de couleur ». Elle se poursuit ainsi :

Je voudrais qu’il soit pareil à moi quand je serai grand
Libre, très fort et heureux
Faut-il le peindre en bleu, en noir ou en blanc
Pour qu’il soit comme je le veux ?

Il est bien, ce petit garçon. Dans sa tête et dans son cœur, il a reçu quelques dons essentiels. Il porte un regard attentif sur les hommes. Il souhaite que tous aient la même possibilité de grandir. Il aspire à la liberté, à la force, au bonheur pour tous. Si ces dons deviennent opérationnels, si cet enfant se bat pour que ses beaux désirs se réalisent, ce sera magnifique. Ses dons seront alors des talents efficaces.

Ce petit garçon me fait penser à la parabole des talents que nous venons d’entendre. Jésus prend appui sur une réalité très concrète des hommes de son temps pour nous ouvrir des chemins de vie.
Au temps de Jésus, un talent, c’est de l’argent, et même beaucoup d’argent. Cet argent est confié à des personnes, pour qu’il tourne, pour qu’il permette des réalisations, pour qu’il fructifie. Jésus, c’est évident, choisit avec soin son exemple. Car tout le monde se sent concerné par l’argent et par sa gestion. Tout le monde peut comprendre que, s’il reçoit une fortune, une propriété, une usine, il est investi d’une responsabilité pour que cela prospère, dans la justice et pour le bien de tous. Tout le monde, sauf quelques-uns, comme le dit la parabole.

Mais justement, c’est une parabole. L’argent représente les talents, les dons, les capacités que j’ai reçus et que je suis appelé à faire fructifier, pas seulement pour moi, mais pour le bien de tous. Simple à comprendre. Et les deux premiers protagonistes de la parabole, celui qui a reçu cinq talents et celui qui en a reçu deux, l’ont bien compris. Et le troisième alors, quelle est son erreur ?
Il s’est trompé sur Dieu. Il en fait même un portrait assez offensant. « Maître (dans la parabole, le maître représente Dieu), je savais que tu es un homme dur ; tu moissonnes là où tu n’as pas semé ; tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur… ». Dieu, le menaçant, l’accapareur, le profiteur esclavagiste : autant se mettre aux abris ! Autant se cacher, et les talents avec !

Mais l’Evangile nous dit tout autre chose sur Dieu. Il est Vie, il est Don, il est Amour. Tout ce que j’ai, je le reçois de lui. Et il ne me traite pas comme un objet ou comme un bébé. Il me confie des responsabilités ; il me prend au sérieux ; il me donne une part de la gestion du monde pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création. Pour reprendre les termes de la parabole, c’est lui qui donne les talents, pour que j’en fasse avec lui une belle œuvre. Donc, attention à porter sur Dieu un regard juste… Et attention à porter les responsabilités qu’il me confie, à la mesure des talents qu’il me donne, parce qu’il compte sur moi.

Mais il n’y a pas que l’erreur sur Dieu. Il y a aussi l’erreur sur les responsabilités que chacun est appelé à porter parmi les hommes et au service des hommes. Le refrain de la chanson d’Hugues Aufray le dit très bien :

Si tu le peins en bleu, fils
Il ne te ressemblera guère
Si tu le peins en rouge, fils,
On viendra lui voler sa terre
Si tu le peins en jaune, mon fils
Il aura faim toute sa pauvre vie
Si tu le peins en noir, fils
Plus de liberté pour lui.

Le spectacle est inquiétant. Faisons l’impasse sur les petits hommes bleus ou verts ; si l’on excepte les Schtroumpfs, on n’en connaît pas. Mais oui, les Peaux-rouges ont été dépossédés de leurs terres. Oui, les Jaunes ont parfois subi des famines terribles. Oui, des Noirs ont été traînés en esclavage. Oui, l’homme n’a pas toujours été respecté.

En ce jour de fête des peuples, où nous essayons de manifester que nous sommes tous frères et sœurs, que nous soyons noirs, jaunes, rouges ou blancs, que nous soyons siciliens ou polonais, vietnamiens ou rwandais, il faut oser dire que les talents des hommes – et leur argent aussi – n’ont pas toujours servi au respect de chaque personne. Et c’est aussi grave que de se tromper de manière offensante sur Dieu. Il faut oser dire que les grandes ondes spéculatives qui agitent les bourses sont totalement amorales, aveugles sur les conséquences qu’elles peuvent porter sur les hommes. Et que c’est parfaitement inquiétant !

Jésus, à travers la parabole des talents, nous invite à reconnaître tout ce que nous avons reçu. Il nous invite à reconnaître le Dieu de la vie, de la justice, de la liberté, de l’amour. Mais il nous invite aussi – cela va ensemble – à combattre avec tous nos talents, avec tous nos moyens pour que devienne vraiment réalité la liberté, l’égalité, la fraternité : ces beaux mots qui prennent leur source dans l’Evangile.

Mais la vie n’est pas que combat. Elle est fête aussi. Et la fête nous rassemble dans la joie, de quelque peuple que nous venions. Qu’il en soit ainsi dans la fête de la communion à Jésus-Christ. Qu’il en soit ainsi dans toutes les rencontres qui auront lieu à l’occasion de cette fête des peuples.
Afin que le petit garçon sache qu’il peut mêler les couleurs pour dessiner l’homme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *