Messe de l’Ascension

 

Abbé Yves Cornu, église St-Nicolas de Myre, Cheyres, le 2 juin 2011
Lectures bibliques : Actes 1, 1-11; Ephésiens 1, 17-23; Matthieu 28, 16-20 – Année A

 

Je voudrais vous emmener pour un petit voyage ascensionnel dans les hauts de notre village de Cheyres : il s’y trouve dans la forêt et la pente de molasse, un charmant oratoire nommé Bonnefontaine. Comme son nom l’indique, il y coule une eau bonne… Nos ancêtres y sont allés depuis longtemps en pèlerinage et encore maintenant, il est rare qu’il n’y ait pas un lumignon allumé : signe d’une présence, d’un passage, d’une prière.

Ce lieu attire par son aspect bucolique. Mais c’est davantage que cela. C’est l’un des rares lieux en Suisse romande dont la tradition véhicule une apparition de Marie. Marie y serait apparue avec un bouleau blanc derrière elle et des roses et des œillets à ses pieds. Nous sommes alors en 1636 : les réfugiés affluent de la Franche-Comté en pleine guerre qui fera en 10 ans 200’000 morts selon les estimations les plus basses. De surcroît, la famine et la peste s’en mêlent. Le village de Cheyres, plein de réfugiés, va quadrupler voire quintupler sa population. Un commentateur de l’époque dit que dans les villages alentour, c’est la même affluence.

Dans ce contexte de peste et de détresse, des miracles se produisent… c’est Lourdes avant la lettre : l’eau miraculeuse de Bonnefontaine fait connaître assez loin sa bonne vertu.

Nous avons oublié ce drame humanitaire mais l’actualité contemporaine en ex-Yougoslavie avec Medjugorje, ou le génocide au Rwanda en 1994, avec les apparitions de Marie à Kibeho, peuvent être des points de comparaison. Malheureux points de comparaison mais où la grâce de Dieu s’est faite prévenante dans la folie des hommes. Ici à Bonnefontaine beaucoup ignorent le drame qui s’est produit et c’est bien… mais curieusement, Marie continue à dispenser ses bienfaits, au goutte à goutte…

Je pense à ce malade atteint mortellement dans la vitalité de ses poumons, qui montait régulièrement depuis le village de Cheyres pour y faire sa prière.  L’effort de la marche à la montée, le souffle court… Respirer à Bonnefontaine, c’était déjà s’habituer à l’air de l’éternité. Le christianisme, c’est cela : s’habituer à Dieu.

J’aime saint Irénée de Lyon chez qui fréquemment il y a cette idée que Dieu s’habitue à l’homme et que l’homme doit s’habituer à Dieu. L’Ascension du Christ nous propose un Christ qui s’absente montant à la droite du Père. Dans cette absence exaltée, il nous promet ici bas un autre lui-même : l’Esprit Saint. Dieu continue à descendre chez les hommes d’une manière plus partagée, plus universelle…

Nous sommes bien dans une période de l’histoire et de l’histoire de l’Eglise où cette universalité est un défi. La planète village nous rapporte son actualité tonitruante à laquelle nous assistons avec impuissance et en proie à un appétit démesuré de nécessaire salut. Un salut qui s’exprime différemment dans nos religions ce qui tend encore à nous opposer…

Les murs qui nous séparent ne montent pas jusqu’à Dieu. Serait-il possible de les faire tomber en creusant sous leur fondation… Je m’explique : à Bonnefontaine, il y a une nature merveilleuse, de l’eau, de la roche qui s’effrite en grottes, ce sont les Crottes de Cheyres, lieu de passage entre Cheyres et Font le village voisin. C’est un passage difficile, nous avons dû l’apprivoiser…

Plus haut encore on y a retrouvé quelques sépultures de la préhistoire. Les villages lacustres des manuels d’histoire de notre enfance ne sont pas loin non plus. L’eau et la terre se mélangent ici plus qu’ailleurs. Creuser les soubassements, c’est retrouver la mentalité de l’homme dit « primitif » qui ensevelissait ses morts en positon fœtale dans le sol : la terre – mère qui a donné la faune et la flore saura bien redonner vie à cette personne chère qu’on lui confie. 

C’est cela Bonnefontaine : des symboles anciens qui parlent toujours au cœur de l’homme. La Sainte Vierge a-t-elle pris ici le relais d’un culte d’une divinité liée à la source, à la terre ? Nous ne savons, mais il y a une permanence des symboles qui parle à l’âme.

Je crois que Dieu descend dans ces repères-là. Ils sont cette lumière qui sécurise l’enfant dans le noir.

L’universel est l’enjeu de la nouvelle évangélisation. Cela peut faire peur.

Nos églises se vident, nos contrées se déchristianisent : les jeunes cherchent au-delà de nos références chrétiennes.
Sauront-ils redescendre plutôt que de monter dans la nuée interdite par les anges ? Il y a toutes sortes d’ascensions  qui se situent entre les plaisirs mondains et l’échelle sociale qui fait grimper les plus forts. A ce jeu beaucoup perdent l’équilibre et quand ils ne sombrent pas.

A Bonnefontaine, à lire son Evangile d’eau et de verdure, nous nous reposons : la fraîcheur de l’endroit me fait penser à ces jeunes foyers qui me disent leur non pratique religieuse lorsqu’ils présentent leurs enfants au baptême.

« C’est vrai, Monsieur l’Abbé, nous n’allons pas à la messe, mais lorsque nous nous arrêtons dans nos promenades dominicales en famille, nous avons le sentiment que Dieu habite la création en contemplant autour de nous ».

Le Dieu Père et créateur qui accueille Jésus le jour de l’Ascension. Cela pourrait-il nous parler d’une Eglise qui accueille la foi de ces jeunes foyers plutôt que la leur inculquer. Nous pensions fixer notre regard sur ce Jésus – Eglise qui monte vers les nuées par un passage unique. Dieu nous le redonne en Esprit Saint partout où il nous devance.

 C’est frappant, la nouvelle évangélisation : le nouveau et l’ancien qui se rencontrent. Nous continuons à proposer Jésus à ce monde qui semble peu en vouloir. Le monde continue à nous dire sa foi dans les réalités simples de la vie.

Voyez ce Jésus de l’Evangile dire à ce lépreux qui revient vers lui : « Va ta foi t’a sauvé ». Jésus aurait pu affirmer sa toute puissance de Fils de Dieu qui change les cœurs… Non, c’est la foi de ce malade, sa foi à lui, qui l’a sauvé. Quelle révolution « copernicienne » : ce n’est plus à nous de dire notre foi, c’est le monde qui la contient et la révèle. Jésus tu étais là et je ne le savais pas… à Auschwitz dans ce camp de concentration, à Srebrenica parmi ces victimes musulmanes,  à Bonnefontaine dans cette eau qui chante l’humanité  humblement croyante au goutte à goutte.

 

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