Messe de la Sainte Famille

 


Abbé Gaston Thiémard, église Saint-Michel, Riaz, le 31 décembre 2000

Lectures bibliques : 1 Samuel 1, 20-28; 1 Jean 3, 1-24; Luc 2, 41-52

L’an passé, comme aujourd’hui, une certaine effervescence régnait : dans quelques heures on ne dirait plus « mille neuf cents et quelques », mais : « deux mille » ! Certains y allaient de leur petite explication pour signifier que le changement de siècle ou de millénaire aurait lieu seulement lorsqu’on passerait en 2001. D’autres disaient que tout cela était purement formel et que, de toute façon, ça ne changerait rien à rien.

Et c’est vrai : face à l’immensité du temps et de l’espace, nos calendriers sont tout petits. Ils me font penser à l’exiguïté de la crèche de Bethléem face à l’infini de Dieu, lequel, cependant, n’a pas dédaigné s’incarner dans notre temps et dans notre humble condition. Dès lors tout ce qui nous touche doit le toucher. Donc nos fêtes, nos coutumes, nos rythmes ne doivent pas lui être indifférents. Comme dirait le renard de Saint-Exupéry, au Petit Prince : il faut des rites, sinon tous les jours se ressembleraient.

Toujours est-il que, dans le bonheur comme dans le malheur, nous restons qui nous sommes et Dieu demeure Celui qui est, peu importe le calendrier, la manière de compter les années, qu’on soit au vingtième ou au vingt-et-unième siècle, au deuxième ou au troisième millénaire.

Et cependant, ne pourrions-nous pas saisir le rite que représente, du moins dans notre culture, le changement de siècle ou de millénaire, pour nous émerveiller face à quelques humbles réalités qui, à y regarder de plus près, sont précieuses, comme le souffle, ou l’eau. À partir de cet émerveillement, peut-être nous serait-il donné de vivre un peu autrement l’an prochain et, sans prétention, modestement mais réellement, d’aider le siècle qui s’ouvre à être un peu plus humain ?

La fête de la Sainte Famille, dans le sillage de Noël, nous rappelle que Dieu lui-même, devenu l’un de nous, s’est fait humble présence. Chaque année cette fête nous dit que la Famille de Nazareth a connu ce qui fait la joie et la difficulté des relations humaines. En Jésus, c’est Dieu qui en fait l’expérience.

Tout cela nous le savons. Mais la demeure de Nazareth nous parle tout autant de la famille même de Dieu.

Puisque Jésus se nourrit du partage quotidien avec Marie et Joseph, c’est donc que Dieu est relation. Et qui dit relation dit échange. Dieu n’est pas le grand solitaire monolithique et froid qui domine tout, de loin, sans être le moins du monde impliqué dans l’aventure de la vie. Dieu est Trinité, ce qui signifie que, sans cesse, il se communique à un vis-à-vis et se reçoit de lui. Comme dit l’abbé Zundel, Dieu est un être qui ne peut subsister qu’en se perdant, en s’oubliant totalement lui-même pour se donner totalement. Dieu, c’est la gratuité et la vulnérabilité de la relation.

Etty Hillesum, une jeune juive incroyante mais qui, prise dans l’horreur nazie, découvrait quelque chose de Dieu, avait compris cela peut-être plus facilement que nous, elle qui émerveillée, faisait cette prière : « Mon Dieu… il m’apparaît de plus en plus clairement… que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. »

Oui, le Dieu Très-Haut, c’est le Dieu humble Serviteur, à genoux devant des hommes pour leur laver les pieds, un Dieu à exaucer. Voilà ce que nous dévoilent la crèche de Bethléem, la famille de Nazareth, la croix du Golgotha.

Alors, je me dis que la fête d’aujourd’hui, à l’aube du troisième millénaire, nous propose une bien belle et bonne conversion qui est double : changer quelque chose à notre relation à Dieu et, en conséquence, changer quelque chose à notre relation aux autres.

Comme ce serait bon de passer du dieu potentat, sourcilleux, pointilleux à l’extrême, juge implacable, jamais content de nous, au Dieu de l’Évangile, un Dieu souriant, invitant sans cesse, convive à la table de la famille humaine, qui est d’abord en connivence et complicité amicale avec nous. Voilà la motivation, bien plus forte que toutes les menaces et tous les ukases, qui nous poussera à entreprendre, dans la joie, les conversions importantes que nous avons à accomplir pour devenir vraiment qui nous sommes.

Etty Hillesum avait compris que Dieu peut tout : non pas en faisant tout à notre place, mais – puisqu’il habite au cœur de notre cœur – en vivant tout avec nous, en transformant tout avec nous, même la douleur de la souffrance et de la mort.

Et c’est ainsi que, sûrs de la complicité de Dieu, nous pouvons passer de l’utilisation des autres au service des autres. Voilà le deuxième aspect de la conversion que nous avons à faire pour que le monde, au vingt-et-unième siècle, devienne plus humain. Au lieu de nous demander sans cesse : qui est le plus grand, le plus fort, le plus influent, le plus riche, qui a raison et qui a tort, qui l’emportera sur qui, il deviendra possible et bon ( ! ) de chercher à être simple bonne présence aux autres. Une autre manière de dire : les aimer.

Dites-moi : cela fait déjà pas mal d’années, pour la plupart d’entre nous, que nous communions. Si cela ne « sert » pas (entre guillemets) à nous faire devenir peu à peu quelque chose de la présence de Dieu en notre monde, à quoi cela « sert-il » donc ? Nous sommes invités à offrir à Dieu un abri au sein de la famille humaine. Pensons-y tout à l’heure quand nous recevrons le Corps du Christ. Amen !

 

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