Messe de la Nuit de Noël

 

  

Abbé Germain Bienaimé, à la Collégiale Ste-Waudru, Mons, Belgique, le 24 décembre 2004
Lectures bibliques : Isaïe 9, 1-6; Tite 2, 11-14; Luc 2, 1-14 – Année A

Frères et sœurs, le grand événement dont nous faisons mémoire en cette nuit nous fait toucher du doigt l’originalité de la foi chrétienne, sa caractéristique propre qui la distingue de toute autre religion. Les chrétiens osent confesser que Dieu s’est fait homme. Et cela est inouï. Le Dieu Trois-fois-saint a pris chair de notre chair. Le Très-haut s’est fait le Très-bas. Le Tout-puissant s’est rendu faible et dépourvu. Folie de Dieu en laquelle nous reconnaissons une trace de sa gloire. Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Cette folie provient de sa passion pour l’homme. Car Dieu s’est fait homme pour que l’homme ait part à la vie de Dieu. Dans le Christ Jésus, il est le Sauveur de l’homme et de l’homme tout entier. Rien de ce qui est humain ne lui sera jamais étranger.

L’enfant né à Bethléem nous a montré cette grande humanité de Dieu. Lorsqu’il commencera son ministère, Jésus se révélera l’homme de cœur, compatissant, accessible à tous, au point que les rejetés de la société civile ou religieuse venaient à lui spontanément. Il était porteur d’un attachement venu d’ailleurs, en lui se manifestait la tendresse du Dieu qui fait grâce et ne désespère d’aucun homme. Et sachant le poids de détresse qui pèse sur l’homme seul, abandonné, malade, agonisant, Jésus a partagé la mort humaine et pas n’importe laquelle : la mort du condamné. Il a connu l’humiliation de l’homme jusqu’au supplice de la croix, ignominie aux yeux des Romains, malédiction de Dieu selon la croyance juive.

Si telle fut la carrière messianique de Jésus, il n’est pas étonnant que dans l’évangile de Luc sa naissance soit mise en scène comme celle d’un immigré, d’un exclu même pour qui il n’y avait pas de place à la salle commune. Et ceux qui viennent saluer sa venue en ce monde sont des bergers, gens d’une catégorie professionnelle peu prisée de l’Israël religieux. Ils figurent les méprisés et les pécheurs qui plus tard s’approcheront du Christ avec un cœur de pauvre. Ceux-là, comme les bergers d’autrefois, entendront résonner en eux-mêmes le cantique des anges : Gloire à Dieu et sur la terre paix aux hommes, car Dieu les aime ! Les hymnes célestes ne s’entendent pas du dehors, pour les percevoir dans notre cœur il faut être au diapason de leur musique.

Les bergers annoncent aussi le noyau d’Eglise qui, au lendemain de Pâques, allait se constituer autour de ceux qui avaient fait l’expérience bouleversante de se trouver en présence du Christ ressuscité. Car jamais les chrétiens n’auraient fêté Noël, s’ils n’avaient connu la joie de Pâques. La lumière de la Nativité tire son éclat de l’éblouissement pascal, lorsque, contre toute attente, les disciples de cet homme rejeté et dont l’œuvre semblait anéantie, se sont trouvés saisis par une certitude irrésistible : il se donnait à voir, revêtu de la lumière divine, et suscitait en eux la foi. Dieu l’avait ressuscité des morts et faisait de lui le Sauveur de tous. La grâce de Dieu devenait éclatante par le signe de la croix. Plus personne ne pourrait se considérer abandonné de Dieu ni maudit. Dans les cœurs torturés par la souffrance ou avilis par le péché, l’espérance pouvait renaître.

Depuis lors la bonne nouvelle s’est transmise. Contre vents et marées, l’Evangile continue sa course, bravant l’indifférence, le mépris ou la persécution. Aujourd’hui comme aux origines, des hommes et des femmes de toute condition sont touchés par l’amour de Jésus Christ, ils l’aiment comme personne ne fut aimé. D’un continent à l’autre, ils s’approprient les paroles de Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean, 6,68).

Frères et sœurs, si nous sommes déjà des disciples au cœur brûlant, réjouissons-nous. Ou bien laissons-nous gagner par la bonne nouvelle si elle ne nous a pas encore atteints, car l’humble et pressant amour du Christ se porte vers chacun d’entre nous. Il restera dépourvu tant que nous ne l’aurons pas accueilli. Le livre de l’ Apocalypse (3,20) a bien exprimé sa discrète insistance à solliciter en nous une réciprocité d’amour : il se tient à la porte et il frappe. Il n’entre pas par effraction, il ne s’impose par aucun signe de puissance. Comme un amoureux, il patiente et continue de frapper, bien longtemps parfois, sans se résoudre à se passer de nous.

Mais quelle est cette porte devant laquelle il se tient ? N’est-ce pas la brèche que nous voudrions dissimuler aux regards : la fissure peu reluisante de nos faiblesses ou de nos échecs, la faille honteuse de nos péchés ? Oui, c’est en exposant au Christ la meurtrissure de nos cœurs que nous aurons la chance de découvrir en lui un Sauveur, le Dieu qui fait grâce et nous recrée. Gloire à lui !

Et nous goûterons alors la paix promise aux hommes que Dieu aime. Une joie inconnue nous sera offerte, plus profonde que le trouble des difficultés et des peines qui peuvent encore menacer notre existence. Une sérénité lumineuse pénétrera jusqu’aux espaces les plus sombres de notre solitude ; elle habitera les recoins esseulés de notre cœur, là où personne n’aurait pu nous consoler.

Frères et sœurs, la découverte intérieure de la présence du Seigneur éveillera notre regard à une autre présence : celle des pauvres de toute espèce auxquels le Christ a voulu s’identifier, qu’ils le connaissent ou pas. Il nous en avertit (Matthieu, 25,40) : ce que nous aurons fait à l’un des plus petits, qui sont ses frères, c’est à lui que nous l’aurons fait. Son amour nous invite donc à rejoindre le nombre des artisans de justice et de paix – d’où qu’ils viennent -, ceux-là qui s’acharnent à faire apparaître une terre où le pain sera partagé entre tous, où le dialogue rapprochera les peuples divisés, où la cause des plus démunis sera sacrée. Gloire à Dieu pour les hommes et les femmes de bonne volonté qui déjà se sont mis en route !

 

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