Messe de la Nativité du Seigneur

 

Abbé Marc Donzé, le 25 décembre 2008, à l’église de Châtel-St-Denis, FR
Lectures bibliques :
Isaïe 52, 7-10; Hébreux 1, 1-6; Jean 1, 1-18  – Année B

Allez savoir pourquoi, en ce jour de Noël, j’ai pensé à Coluche. Vous vous souvenez de Coluche, sans doute, avec son éternelle salopette, son nez rouge et son air d’avoir toujours une goutte qui tombe du nez.
L’humoriste était trivial, vulgaire souvent. Il était cruel pour les travers et les mesquineries des gens et de la société… mais, en définitive, n’est-ce pas le monde qu’il observait qui était vulgaire et cruel !

Coluche avait aussi du cœur, beaucoup de cœur. Un jour, voyant les paumés de toute sorte, avec grande générosité, il a fondé les « Restos du cœur ». Il savait voir, en effet, les laissés pour compte, les marginaux, les va-nu-pieds, les sans-abri et sans papiers, les délaissés de tous bords.
Et les Restos du cœur, où l’on peut venir chercher une présence, goûter un peu de chaleur, manger un plat servi avec respect, sans que l’on doive montrer patte blanche, ont aujourd’hui encore un grand rayonnement sous diverses  formes, car les délaissés, les solitaires, les éclopés sont encore terriblement nombreux, même chez nous.

Je trouve que Coluche (sans vouloir le récupérer) a très bien compris le message de Noël, qui est plus fait pour les caniveaux de ce monde que pour les splendeurs du négoce.
En effet, dit le prophète Isaïe, le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Ces ténèbres, c’était l’exil, le mépris l’esclavage, la confiscation de la liberté : une situation presque désespérée, juste comme un bout de tison qui fume encore… c’est  dans cette tragédie que vient la lumière.
Jésus-Lumière, lui aussi, est venu planter sa tente parmi nous, jusqu’au cœur de la nuit, jusque là où la ténèbre mord les possibilités d’exister.
C’est  donc pour ceux qui sont dans la mouise, dans l’exclusion, dans l’exil, dans le désespoir que Jésus est venu mettre la Lumière à Noël.  Il est venu aussi pour les autres, bien sûr, mais d’abord pour ceux qui sont si tenaillés par l’obscur qu’ils attendent une lumière.

Aujourd’hui, on observe des choses étranges par rapport à cette Bonne Nouvelle de Noël. On assiste à une inversion à peu près complète du message de Noël.
Noël est devenu la fête de ceux qui vont bien, de ceux qui sont dans l’harmonie, de ceux qui peuvent bien se retrouver en famille : rien de critiquable à cela ; c’est même fort précieux. Mais, par le fait même, Noël est devenu difficile pour ceux qui ne vont pas bien, qui sont dans le deuil, la division, le conflit, la misère… alors que c’est pour leur soif de lumière que Noël est fait en premier.
Noël est devenu la fête de la consommation ; la question du mois de décembre dans les medias était la suivante : est-ce qu’en ce temps de crise, les Suisses vont consommer autant qu’avant pour les Fêtes… et la réponse est oui. Peu de questions peuvent être aussi à l’envers du message évangélique, car Noël est juste la fête de la Lumière dans les cœurs… et il faut peu de matière pour donner beaucoup de lumière.
Noël est devenu la fête du Père Noël. Dans les deux hebdomadaires des deux grandes chaînes de magasins en Suisse, une page pour les vœux de Noël : des sapins, de la neige, des cadeaux, un Père Noël bien chenu… aucune trace de Jésus.
Noël complètement inversé… et l’inversion est si réussie qu’un enfant au catéchisme a pu demander : c’est bizarre, l’Eglise, elle a récupéré la fête du Père Noël  pour la donner à Jésus.

Revenons donc au message évangélique de Noël ; et Coluche, avec son cœur sur la main, nous en rappelle le chemin.
Jésus est venu comme un tout petit enfant innocent dans la ténèbre. À tous les hommes, il est venu offrir l’amour le plus simple, le plus respectueux, le plus tendre, le plus lumineux jusqu’au bout. Il est venu l’offrir en respectant la liberté de chacun : pas de trompettes, ni de splendeurs,  juste le sourire d’un enfant. Il est venu l’offrir à grand risque, même à ceux qui ne l’acceptent pas.
Que nous demande-t-il ? il nous demande juste de l’accueillir, lui qui nous tend les bras ; il nous demande de le protéger, car le sourire de l’amour est fragile ; il nous demande même de le sauver de tous les Hérodes qui  veulent l’engloutir.
Cette parole peut paraître bien étrange : il faudrait sauver Jésus, protéger le petit enfant Jésus, alors que c’est Lui qui vient nous sauver.
Elle est étrange, mais profondément vraie : Dieu-Amour a fait tout ce qu’il a pu : il nous donne la vie, le mouvement et l’être ; il nous crée par amour, il nous appelle par notre nom, il veut être notre Père. Il n’y qu’une chose qu’il ne puisse pas faire : c’est contraindre notre liberté, car il n’y a pas d’amour sans liberté.
À tous ceux qui ont peu ou prou refusé sa Présence et son Amour, il vient offrir l’Amour jusqu’au bout dans les bras tendus du petit enfant Jésus, qui nous dit en quelque sorte : accueillez-moi ; je vous ai déjà tellement accueillis. Et si nous ne l’accueillons pas, c’est comme si la Présence de Dieu s’éteignait en nous et autour de nous. Il faut sauver la conscience de la Présence de l’Amour autour de nous.

Etty Hillesum, une jeune juive hollandaise, a compris cela avec une immense profondeur. Parquée dans un camp de transit, à Westerbork, d’où l’on était embarqué pour Auschwitz, enfermée dans cet univers que les nazis s’étaient chargés de déshumaniser et de dédiviniser, elle écrit ces mots bouleversants : « Dieu a tout fait pour nous; ici, il ne peut plus rien faire. C’est à nous de le sauver, de sauver sa Présence ». Dans cette conviction abyssale, en regardant les lupins qui poussaient au-delà des barrières du camp, elle trouvait la force de mettre de l’humanité, de l’espérance, de la lumière au cœur même de l’univers concentrationnaire.
Ainsi, elle maintenait vive la présence de Dieu, la flamme de Dieu… la lumière de Noël en quelque sorte.

Paul Claudel, le grand écrivain, a eu une intuition semblable, quand, lors des Vêpres de Noël à Notre- Dame de Paris, en 1886, il est saisi par l’enfance éternelle et l’innocence déchirante de Dieu. Il se convertit alors et il se donne mission, avec son style, de montrer et d’illustrer dans le monde la présence du Dieu fragile, mais si puissant dans l’amour.
Voici donc l’appel de ce Noël, l’appel de tous les Noëls, l’appel que Coluche a si bien entendu finalement : maintenir vive la lumière du cœur en nous et la transmettre aux autres par l’attention active de notre cœur. Ainsi serons les témoins véridiques de Jésus qui nous tend les bras. Ainsi la lumière se lèvera sur chacun de nos pas.

Amen.

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