Messe de la fête du Corps et du Sang du Christ

 

Abbé Pascal Bovet, à l’église du Bon-Pasteur, Prilly, VD, le 2 juin 2002

Lectures bibliques : Deutéronome 8, 2-16; 1 Corinthiens 10, 16-17; Jean 6, 51-58

Parler de pain dans un désert et parler de pain devant un étalage de boulangerie dans nos supermarchés sont certainement deux expériences fort différentes, malgré un point commun : le pain. On pourrait actualiser autrement encore: parler de faim à des affamés ou à des repus fait remonter à l’esprit des images et des sentiments fort variés. Et pourtant nous sommes toujours au cœur d’un geste humain fondamental, de nécessité première : manger, boire… Ne demandons-nous pas si facilement : “ Donne-nous notre pain de ce jour ” ?

Et voici qu’aujourd’hui nous faisons fête à Dieu qui s’incarne à ce point qu’il rejoint notre humanité dans cette nécessité première : manger, boire… Qui mange ma chair et boit mon sang…

L’évangéliste saint Jean ne dit pas autre chose en rattachant le discours de Jésus sur le Pain de vie au miracle de la multiplication des pains. Pas de Sainte Cène au sens strict chez lui. Mais à l’occasion de la multiplication des pains, Jésus invite à “ monter plus haut ” dans cette humanité ; après le geste divin de donner du pain à la foule, après avoir calmé sa faim, Jésus aurait pu s’arrêter là. La foule n’en demandait guère plus, elle qui voulait le faire roi. Qui ne voudrait d’un roi qui donne du pain gratuitement ? Bel argument en temps de campagne électorale ! Oui, mais Jésus ne cherche pas ce succès là.

Partager notre condition humaine ? Nous savons à quel point il le fait généreusement, et jusqu’au bout. Tellement jusqu’au bout qu’il en fait éclater le cadre : il nous amène à des zones souvent muettes en nous, intérieures, celle qui nous rappellent que l’homme et la femme de tous les temps ne vivent pas seulement de pain. Et c’est encore ce pain, nouveau, céleste, qui nous ouvre une vie au delà de la mort : celui qui mange ce pain vivra éternellement. C’est ce miracle-là que l’Eglise poursuit en célébrant chaque dimanche : le pain qui donne vie est là, donné, disponible. Venez : tout est prêt !

En recevant ce pain, en disant “ amen ” lorsque ce Pain m’est présenté, je dis mon OUI à ce Dieu qui me rejoint dans mon histoire. J’inscris en moi-même ce don généreux de Dieu qui se donne, non pas comme une vague idée pieuse de communion avec un être supérieur innommable, mais avec la figure concrète de Jésus, le Christ, celui que Dieu a envoyé , pour que nous ayons la vie. Je fais aujourd’hui mémoire du Don de Dieu pour en vivre.

Nous voilà bien loin du pain du désert ou du pain sur l’étalage du boulanger, malgré tout le respect auquel ils ont droit l’un est l’autre. Car ce pain là, qu’il soit abondant ou rare, ne nourrit que jusqu’à la mort; celui que l’on reçoit de Dieu donne vie éternelle.
Nous voilà bien dans le langage de saint Jean : vie, mort ; pain de vie, vie éternelle…, doubles sens, doubles niveaux de discours.

L’offre est généreuse. Qu’on se souvienne des douze corbeilles de pain restant ! Mais qu’en est-il de la demande ? Est -ce que, dans la vie quotidienne, ou plus exactement, hebdomadaire, ce don de Dieu est signifiant pour la vie de chacun de nous et la vie de la communauté ? On se réjouit certes que la participation à l’eucharistie aille de nos jours presque toujours jusqu’à la communion, participation à ce repas céleste. Mais par ailleurs, les complaintes sur les assemblées clairsemées nous interrogent.

Autre questionnement : nos communautés se réjouissent chaque printemps de l’arrivée de nouveaux communiants, mais déplorent rapidement leur disparition ! Serait-ce que ce Dieu-là a perdu sa saveur ? Que ce pain ne nourrit plus ? Que ce pain désirable n’est plus désiré ? Ou encore que ces propos sont trop durs pour nos oreilles modernes ?
“ Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? ” Ce n’est pas seulement une question de quelques juifs, mais de beaucoup de nos contemporains.

Cette traditionnelle Fête Dieu, ou plus exactement aujourd’hui, cette fête du Corps et du Sang du Christ, nous conduit infailliblement à la question “ qui est Dieu pour moi ” . Est-il un une nécessité ou un accessoire dans ma manière de vivre “ moderne ” ? Il est vrai que le pain de chaque jour, le travail des hommes et des femmes de ce monde peuvent le fournir, à condition encore de le répartir, de le partager. Si l’humanité peut prétendre pouvoir se passer d’une multiplication des pains, – encore qu’il faille vérifier cette assurance- quelle place reste-t-il pour un Dieu présent à ce temps comme il fut présent au peuple juif, l’élu de Dieu dans ses pérégrinations, dans le désert ou en Palestine ?

Nous voilà poussés à regarder plus loin dans les besoins de l’homme. Tant de questions actuelles nous obligent à faire le point sur le “ principe d’humanité ”. Le catéchisme traditionnel pose la question : Qui est Dieu ? Et nous balbutions des réponses approximatives. N’y a-t-il pas lieu de poser l’autre question qui lui est proche : Qui est l’homme ? Et nos réponses se font tout aussi hésitantes. Nous touchons à tellement de limites : celles de la science, de l’économie, de la politique, de la technique, autant de choses merveilleuses , mais qui ne vont pas jusqu’au bout des attentes de l’homme :

gavé de moyens, et affamé de sens !
supermarché des biens, désert de spirituel !

La foi en l’Incarnation du Fils de Dieu va jusqu’à affirmer que c’est dans cette situation-là, la nôtre aussi et aujourd’hui, que Dieu est présent ; non seulement dans un monde parfois idéalisé d’autrefois, comme si tout y était parfait, mais dans notre faim actuelle et quotidienne de sens.

“ Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour que le monde ait la vie. ” La promesse de Jésus se réalise aujourd’hui comme autrefois, pour chacun de nous qui veut bien l’accueillir et pour nos communautés qui lui font fête chaque dimanche. Et ce pain s’appelle : Corps du Christ.
Amen.

 

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