Messe de la fête du Christ, Roi de l’univers

 

Chanoine Charles Neuhaus, le 21 novembre 2004, à l’église St-Sigismond, St-Maurice
Lectures bibliques : 2 Samuel 5, 1-3; Colossiens 1, 12-20; Luc 23, 35-43

« Nous rappelons à ceux qui prendraient notre émission en cours de route que nous retransmettons, depuis St-Maurice, la fête du Christ, Roi de l’univers ».

Nous entendons de temps en temps des notes semblables sur nos ondes, de la part des reporters, pour permettre à l’auditeur inattendu de savoir sur quelle émission il vient de tomber.

Imaginons justement un auditeur qui prend l’écoute RSR 2 à ce moment-là. Il ne connaît quasiment rien de l’évangile et de notre tradition liturgique catholique, comme ces jeunes universitaires qui ne savent pas ce qu’est un « requiem » ou qui sont incapables de donner un titre au tableau qui représente un ange apparaissant à une jeune fille. Voilà donc que notre auditeur occasionnel intrigué et poussé par la curiosité tend l’oreille et il entend qu’on parle d’un nommé Jésus Christ, roi de l’Univers. Que peut-il bien imaginer ? Qui est-ce donc, de quel roi s’agit-il ? Notre civilisation contemporaine ne compte plus ses rois : roi du pétrole, roi de la lutte, roi du foot. Et les tabloïds au papier glacé étalent de long en large les faits et gestes des familles princières. Mais alors ce Jésus, roi de quoi ?

Il est bon pour nous, chrétiens, de réapprendre le sens des mots que nous utilisons dans notre parler religieux. Il nous faut vérifier s’ils sont compris, vérifier si nous les comprenons. Bien souvent nous utilisons ou nous entendons des formules religieuses toutes faites, bien rodées par l’usage; mais elles sonnent creux dans nos vies. Mais lorsqu’elles nous sont renvoyées en pleine figure, avec la vigueur du sens original, par ceux qui les entendent pour la première fois, elles nous laissent un peu sonnés et stupéfaits. Elles nous interpellent. Alors, dans le contexte religieux et culturel qu’est le nôtre, qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui, célébrer le Christ, Roi de l’Univers.

Vous vous imaginez l’étonnement de notre « auditeur surprise » quand il entend le récit de la mort de celui que nous fêtons comme notre roi. « On venait de crucifier Jésus…Les chefs ricanaient … Les soldats se moquaient de lui…. Un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait… Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des juifs. »

Mais il y a aussi cette autre voix : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne » et encore : « je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».

En fêtant le Christ, Roi de l’Univers, nous sommes bien loin de magnifier les conquêtes d’un roi tout-puissant et de célébrer la fierté d’une nation qui acclame son champion ou de regarder défiler carrosses et groupes d’apparat. Et pourtant celui que nous honorons en ce dernier dimanche de l’année liturgique, nous lui donnons le titre de roi. Nous empruntons, à la suite de nos pères dans la foi, ce mot aux réalités bien concrètes de l’histoire des hommes, à savoir l’image de quelqu’un qui règne.

Etre roi, au sens noble du terme, c’est exercer un pouvoir, un service pour le bien de ses sujets. Quel est le règne du Christ ? quel est son rayonnement ? Pour le savoir, oserons-nous nous tourner vers la croix, comme nous y invite l’évangile de ce dimanche, et accueillir ce règne dans nos vies, un règne en contradiction avec l’esprit du monde qui nous entoure ?

Sur la croix, Jésus est rejeté, méprisé, bafoué. La haine qui se déchaîne contre lui, l’innocent, est sans mesure. Les chefs religieux et politiques, les soldats, la foule, tous sont contre lui. Et lui, pieds et mains liés, souffrant dans son corps et dans son cœur, reste silencieux. Ce n’est pas le silence de la mort, de l’anéantissement, mais le silence, oh combien éloquent, de celui qui supporte toutes les injures malintentionnées, avec compassion pour ses bourreaux. Jésus ne subit pas passivement les attaques dont il est victime. Là, sur la croix, il est le roi, le guide, parce que il donne sa vie, il donne tout son amour. Jésus fait régner le pardon à la place de la vengeance. Il fait régner l’amour à la place de la haine, lui « le Fils, l’image du Dieu invisible ». Avec lui, le Règne de Dieu est proche. Les premiers chrétiens nous ont transmis dans cette hymne, le témoignage de leur foi en Jésus qui ouvre une ère nouvelle.

« Insulté, sans rendre l’insulte,
maltraité sans proférer de menace,
il s’en remettrait à Celui qui juge avec justice.
C’était nos péchés qu’il portait, dans son corps sur le bois,
afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice. »

C’est l’évangile de ce dimanche qui nous conduit à faire de notre roi, ce portrait.

Vous trouverez peut-être mon propos bien sombre et peu adapté pour célébrer notre Roi. Mais comme moi, vous êtes certainement aussi sensibles à la réalité de notre monde où les œuvres de mort sont si nombreuses. Peut-on imaginer un monde sombrant davantage dans la violence et dans le mépris de la personne humaine que notre civilisation du XXe et XXIe siècles? Une région de la planète peut-elle se prétendre plus évoluée, montrer des mains propres ? Purification ethnique d’un côté et avortements ou euthanasie de l’autre. Enfants exploités par le commerce des armes ou du sexe d’un côté, et enfants mal aimés et sans repaires à cause de l’égoïsme des adultes, de l’autre. Violence à l’égard des femmes dans les pays en guerre et exaltation de la liberté sexuelle dans les pays dits riches, par les différents moyens de communication. Pauvreté et misère qui engendrent la mort, richesse et abondance de biens matériels qui engendrent le mal de vivre, l’oubli de la dimension spirituelle. Et la liste n’est pas exhaustive…

Tourner notre regard vers le Jésus de la croix, comme nous y invite la liturgie de cette fête du Christ, roi de l’univers, c’est, paradoxalement, naître à l’espérance. Le contemplant avec les yeux de la foi, nous découvrons, en effet, qu’il porte les souffrances et les péchés des hommes. Du haut de la croix dressée sur le monde, Jésus prend sur lui toutes les misères du monde. Mais en acceptant de prendre sur lui, par amour, les conséquences du mal qui est en l’homme, il dit non à ce règne du mal.

Et alors qu’est-ce que ça change ? Les innocents torturés souffrent-ils moins pour autant. Le monde sera-t-il meilleur ? Et nous chrétiens, est-ce que nous nous laissons engloutir par l’opinion majoritaire ?

« C’est pour nous que le Christ a souffert; il nous a marqué le chemin pour que nous allions sur ses traces » chantait les premiers chrétiens. Nous-mêmes, au début de cette célébration, nous avons chanté ce que Jésus dit par la voix du poète :

« Je suis le Prince de la Paix;
En moi toutes les guerres cesseront.
Je suis l’Agneau vainqueur du Mal;
Par moi toutes les haines finiront. »

Il est temps de conclure en accueillant l’appel qui vient de ce monde marqué par le péché, l’appel qui vient de Jésus sur la croix. Un des malfaiteurs dit à Jésus : « Souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne ». Si nous faisions nôtre cette demande, aujourd’hui, cela signifierait que nous sommes prêts à nous engager à être au service de son royaume. Alors nous entendrons, pour aujourd’hui aussi, la réponse de Jésus : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».

Le Christ, roi de l’univers veut nous prendre près de lui, non pas seulement au jour de notre mort, ni pour nous libérer de ce monde de misère. C’est pour que, dès maintenant, nous marchions sur ces traces, c’est-à-dire : lutter contre le mal sous toutes ses formes, avec les armes royales de l’amour et du don de soi. Si tous les chrétiens se mettaient au service de Jésus, le roi qui vient au secours de toute détresse, l’agneau vainqueur du mal, le monde ne serait-il pas un peu meilleur ?

 

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