Messe de la Fête-Dieu

 

Chanoine Jacques Oeuvray, à l’église de Courtedoux (JU), le 6 juin 2010
Lectures bibliques : Genèse 14, 18-20; 1 Corinthiens 11, 23-26 ; Luc 9, 11b-17 – Année C

 

 

Le repas de la Sainte Cène : « Un seul pain pour un seul peuple.

« Les diamants, sont éternels! » nous dit la pub! Et aussi le 7e film de James Bond ! Chers frères et sœurs. C’est éternels, inrayables et inaltérables.
Mais Jésus a choisi çà : un morceau de pain !

  Lui qui nous demande de durer, lui qui nous demande de bâtir sur le roc, lui qui nous demande de prendre appui sur lui … c’est tout ce qu’il nous donne comme signe de sa présence parmi nous. Un bout de pain! De ce pain que l’on jette aux pigeons, que l’on donne aux cygnes sur les bords de nos lacs ! De ce pain qui ne résiste ni aux vents, ni à la pluie, ni au soleil !
Un bout de pain à la merci de nos grosses mains qui n’ont qu’à se fermer pour le réduire en miettes.

Jésus a osé faire çà ! Ne laisser subsister de ses trente années de vie sur notre terre, plus que çà ; ne laisser transparaître de son immensité, de sa divinité, de sa gloire, que ce morceau de pain. Voilà dans quoi l’éternité s’enferme, voilà à quoi elle est réduite – un Dieu en portion, un Dieu en morceaux, confié à nos bons soins, livré à la liberté de cette humanité si prompte à la guerre et au pillage, à l’injustice qui affame les plus pauvres et à la cupidité pour s’enrichir, à l’ivrognerie et à la goinfrerie…

Jésus avait bien pris soin d’avertir ses disciples. Lorsqu’il prononça la bénédiction sur les cinq pains et les deux poissons, « tous mangèrent à leur faim ! Et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit douze paniers. » Signe merveilleux du désir de Jésus de constituer un peuple de toutes les nations dans le partage du même pain.

« Les diamants, sont éternels ! » et çà brille; c’est pur et c’est précieux comme Jésus. Mais il a choisi le pain pour signifier sa présence, précieuse au milieu de nous et la nourriture qui nous unis en un seul peuple, son peuple. Il a choisi le pain où se mélangent la sueur du travail et les déchets de la terre. De ce pain qu’ont pétri les mains de saints et de vauriens, des mains meurtrières et des mains innocentes.
Et il a choisi le vin, ces raisins piétinés, foulés aux pieds comme on faisait de son temps, le vin qui, si facilement, peut monter à la tête, enivrer et conduire l’homme à la déraison ou à la démence.

Jésus a osé faire çà ! Il a choisi ce vin qui enivre et ce pain qui demain sera déjà dur et qui moisira en une semaine. Et c’est avec çà qu’il nous dit – « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ! » Tous les jours dans le pain et le vin, n’ayant pour seule assurance que la confiance qu’il nous accorde, jour après jour. Il a choisi l’éphémère pour nous faire don de son éternité.
Il a choisi le banal pour nous partager l’extraordinaire nouveauté. Il a choisi le fragile pour nous offrir sa force et il nous offre, au risque de l’ivresse, le vin de la fête et de la joie.

C’est dans ce sacrement, signe de la présence du Christ ressuscité, que se constitue ce peuple de toutes les nations que nous formons, au-delà de toutes frontières et de toutes langues et de toutes cultures. C’est aussi cela que Paul affirme dans sa première lettre aux Corinthiens : « la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »   Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. »
Quel Dieu avons-nous, chers frères et sœurs, qui a inventé ce don de lui- même en son Fils pour nous constituer en peuple, en un seul corps pour dire au monde son amour, son désir de nous unir à lui pour toujours ?

Vous connaissez le roman du Graal, ou vous avez vu le film « Indiana Johns » à la télévision. C’es l’histoire de cette prétendue coupe qui aurait contenu le vrai sang du Christ et que l’on ne peut découvrir qu’après avoir traversé d’innombrables épreuves qui vérifient, les unes après les autres, l’authenticité et la vérité de ce qu’il y a dans nos cœurs. Çà fait rêver, mais c’est le contraire de l’eucharistie. Ici, Dieu se donne sans cachette, pas d’examen d’entrée, pas de mise à l’épreuve, pas de mystère, mais du pain à l’air libre pour qui en a faim, livré sans précaution; pas réservé à une élite d’initiés ou de savants, mais offert à tous, donné pour la multitude. Exposé au public, dans nos rues et sur nos places, dans un ostensoir qui le montre.

Il a osé faire çà, Jésus ! Il a pris le risque de faire confiance aux mains incertaines de l’homme. Il prend le risque de ne pas se laisser mériter, de ne pas se laisser protéger ; il s’offre en cadeau.
« Les diamants, sont éternels ! » mais Jésus n’est que pain. Et non seulement c’est tout ce qu’il nous donne, mais encore, ce pain, sitôt reçu, disparaît. Jésus présent ne nous laisse aucune trace: il s’efface pour nous nourrir.
Il décroît pour que nous grandissions et devenions un peuple de toutes les nations, unifié en lui. Il nous crée, comme disait Friedrich Hölderlin dans cette magnifique image, « il nous crée comme la mer a créé les continents, en se retirant ! »
Jésus pain, Jésus vin et non diamant, pour qu’il se découvre dans l’absence, parce qu’il n’y a que l’absence, la faiblesse, la nudité, l’impuissance qui puissent faire naître, le désir, la faim et le goût de Dieu. C’est tout cela que nous célébrons à la Fête-Dieu.


Amen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *