Célébration oecuménique dans le cadre de la Schubertiade d’Espace 2

 

Pasteur Didier Halter, à l’église Notre-Dame de la Visitation, Martigny, le 7 septembre 2003.

Lecture biblique : Marc 7, 31-37

Qu’est-il donc devenu ? Qu’est-il donc devenu, ce personnage dont nous ne savons rien, rien d’autre que ce que nous venons d’entendre dans l’évangile selon Marc. Qu’est-il donc devenu ? Cet anonyme – sourd et qui plus est – souffrant de difficultés à s’exprimer. Qu’a-t-il donc fait de cette expérience si forte, si bouleversante et si essentielle qu’il a vécue dans sa rencontre avec Jésus ?

Qu’est-il donc devenu ? A-t-il donc rejoint la cohorte des disciples ? Et si oui, a-t-il fait partie de ceux qui quelque temps plus tard, abandonneront Jésus quand ils ne le comprendront plus ? S’est-il fondu dans la foule des anonymes qui, un jour acclament le Christ dans son entrée à Jérusalem et le jour suivant réclame sa crucifixion ?

Fait-il partie de ceux qui redécouvriront plus tard sous l’impulsion d’intrépides missionnaires le sens qu’a pu avoir cette rencontre bouleversante pour sa vie ? Ou alors finalement, ce qu’il a vécu n’a-t-il pas laissé d’autres traces que la fulgurance d’un instant ?

Qu’est-il donc devenu, cet homme qui a vécu cette expérience spirituelle si forte avec Jésus? Songez que le Christ le prend à l’écart, en tête-à-tête. Il va lui être donné d’entendre – et entendre dans les Schubertiades ici à Martigny – chacune et chacun mesure ici tout le privilège que cela peut être. Il va être capable de parler, c’est-à-dire de communiquer, de quitter son isolement d’avec les autres car sa langue s’est déliée.

Tout cela dans cet intense face à face avec Jésus où le Maître prend soin de toute sa personne par de multiples petits gestes d’attention qui disent toute l’émotion et toute la compassion qui saisit Jésus devant un pareil blessé de la vie.

 

Qu’est-il donc devenu ce privilégié, oui je dis bien ce privilégié, parce ce qu’il est privilégié d’avoir pu ainsi vivre ce temps fort, cette expérience si intense: un tête-à-tête avec le Christ. Je suis sûr qu’il y a ici, non seulement dans cette église, mais par la magie des ondes dans mille et un endroits de Suisse romande et de bien d’autres pays plus lointains, des hommes et des femmes qui, comme moi, envient cet anonyme de l’Évangile.

Qu’a-t-il pu faire de ce qu’il a vécu de si intense et de si fort ? Qu’est-il donc devenu ? Au final, l’expérience qu’il a vécue, lui a-t-elle ouvert un nouveau chemin ? Cela a-t-il été le saisissement d’un instant dont on reste à jamais nostalgique ? Ou est ce que cela a contribué à transformer une vie et une foi ?

 

Très rapidement, l’anonyme de l’évangile a dû se trouver face à cette question qui nous importe parfois aussi : que faire de cette expérience? Et surtout que faire de cette expérience dans la durée ?

Et même si nous ne vivons pas comme l’anonyme de l’évangile l’expérience directe de la rencontre avec le Jésus historique, il y a fort à parier qu’il y a parmi nous, ici à Martigny ou sur les ondes, des hommes et des femmes qui ont, à leur manière, vécu une expérience spirituelle intense : une expérience de conversion, une expérience au cours d’une retraite, d’une rencontre de prière, d’une marche priante ou peut être encore une expérience plus improvisée, une expérience inattendue, non provoquée, non voulue, mais une de ces expériences fortes qui vous touche jusqu’au plus profond de vous-mêmes et qui contribue à bâtir ce que vous êtes, et votre relation à Dieu.

Le problème de cette expérience, ce n’est pas tellement qu’elle existe, mais c’est qu’elle dure, qu’elle dure encore, qu’elle produise encore des effets, qu’elle prolonge ses bienfaits dans le temps.

Pour l’anonyme, l’expérience a eu des effets dans la durée puisqu’il a retrouvé l’ouïe et a développé son langage. Mais je dois bien reconnaître que lorsque nous vivons des expériences spirituelles fortes, il nous arrive souvent d’éprouver quelques difficultés à les transposer dans la durée, à les faire nous nourrir dans le quotidien des jours.

De plus, nous vivons dans une période qui ne nous facilite pas la tâche. Aujourd’hui ce qui est privilégié, c’est la succession des temps présents où l’on va d’une nouveauté à une autre, d’une mode à une autre.

Et dans notre vie spirituelle, il peut en aller de même, tellement nous sommes plongés dans les modes du présent. Nous courons le risque de sauter d’un temps fort à un autre, de vouloir toujours y goûter, de vouloir faire de chaque instant de notre vie spirituelle un temps fort ou de croire même qu’il n’y a pas de spirituel possible en dehors de ces temps forts.

Nous courrons le risque d’oublier la durée et l’inscription de la vie et de la relation avec Dieu dans la durée. Car Dieu n’est pas seulement présent dans les temps forts : il ne s’y réduit pas, même s’il peut s’y concentrer. Dieu est aussi présent dans le temps de tous les jours, le temps qui passe au long tic tac de l’horloge du salon que l’on aimerait parfois ne plus entendre.

Dieu est aussi présent dans le temps saccadé et haché de nos agendas et de nos stress quotidiens. Dieu est aussi présent dans le temps long et sans fin du lit du malade, de la chambre de la personne âgée, de la fenêtre à barreaux du prisonnier.

Vivre des expériences et des temps forts est une chose, nous en nourrir dans la durée en est une autre et c’est le véritable défi de la vie chrétienne que de faire des ces temps forts nécessaires, j’allais même dire indispensables, non pas des moments de nostalgies ou des moments de fuite du réel, mais des temps qui se comportent comme autant de rendez-vous où nous pouvons puiser renouveau, persévérance, désir, joie pour notre vie quotidienne, pour habiter avec Dieu le temps de tous les jours.

 

L’histoire de l’anonyme de l’évangile me fournit alors une piste simple. Rappelez-vous : à travers des gestes de tendresse: Jésus lui débouche les oreilles, lui délie la langue. Autrement dit, Jésus rend cet homme capable de communiquer à nouveau et cet homme le fait, sinon pourquoi Jésus éprouverait-il le besoin de lui enjoindre de se taire ? Jésus le guérit et le rend apte à communiquer. Sans doute, est-ce là, le secret qui peut permettre de faire d’un temps fort une nourriture pour tous les temps de la vie.

L’expérience spirituelle que nous vivons, ne peut vraiment s’épanouir en expérience du Dieu de Jésus-Christ que dans sa communication et dans son partage. Par le geste, par le corps, par le regard, par les mots, communiquer son expérience spirituelle pour la faire durer.

Alors dans la communication de cette expérience, se dessine le portrait, se tisse la toile d’une communauté humaine, d’un corps dont chaque membre est relié par le partage de multiples expériences croisées, expériences partagées qui sont elles-mêmes passées au crible normatif de ce condensé de récits d’expériences qui forment les Écritures.

Oui, c’est un corps que ce travail de communication dessine, ce corps que l’apôtre Paul appelle l’Église et dont la seule tête est le Christ lui-même.

C’est sans doute ce qui nous manque le plus aujourd’hui, de savoir nous parler pour partager nos expériences et communiquer entre nous à ce propos. C’est sans doute aussi là une des vocations du culte chrétien que de nous offrir un lieu, où non seulement il nous est aussi possible de vivre une expérience spirituelle forte, mais de nous offrir un lieu qui peut nous permettre de partager notre expérience spirituelle personnelle ou tout au moins de nous offrir des outils pour la nommer et ainsi la faire se déployer dans le temps. Par la manière dont le culte organise la liturgie, par la manière dont nous sommes assis les uns avec les autres, par les mots qui sont chantés, priés, lus et prêchés, à travers toutes ces choses qui composent un culte chrétien, ce sont autant de possibilités qui nous sont offertes pour nous permettre de communiquer le travail que Dieu effectue en nous et d’en prolonger les effets dans la durée.

 

Qu’est-il devenu cet anonyme de l’évangile ? En tout cas, une chose est sûr, son expérience nous été transmise ! Sans elle il n’y aurait pas eu ce récit et sans sa transmission, il n’y aurait pas eu pour nous de possibilité de méditer encore davantage et de donner à cette expérience individuelle forte des prolongements à travers les siècles jusqu’au nôtre. Amen !

 

 

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