Célébration oecuménique

 

Pasteur Pierre Aubert et frère Jean-Daniel Balet, aumônerie de l’hôpital universitaire de Genève, le 24 janvier 2010
Lecture biblique :
Ecclésiaste 3/1-15 (traduction Maillot); Luc 2, 22-35

 

Mot d’accueil

Chers frères et sœurs, nous sommes très heureux de vous accueillir au cœur de l’hôpital universitaire de Genève pour vivre ensemble cette célébration œcuménique. Partout dans le monde durant cette  Semaine de l’Unité, des chrétiens de différentes confessions prient ensemble. Cette belle tradition de prière dans le respect de nos différences et de nos sensibilités remonte à plus d’un siècle.  Cette année nous célébrons le centième anniversaire de la Conférence d’Edimbourg en 1910 qui constitue l’acte de naissance du mouvement œcuménique moderne.
Ici à l’hôpital de Genève, l’œcuménisme n’est pas une discipline à option, c’est notre pain quotidien. Chaque jour nous commençons ensemble notre mission par un temps de prière partagé entre chrétiens. Chaque semaine nous nous mettons ensemble à l’écoute de la Parole qui nous unit dans un temps  consacré à l’étude de la Bible. Et enfin, nous avons choisi de célébrer ensemble, dans la communion de nos Eglises, les temps forts de l’année liturgique.
Cette amitié, cette prière, cette collaboration portent témoignage au seul Seigneur, le Christ qui nous appelle et nous envoie en mission auprès de nos frères et sœurs malades.

Pierre Aubert, pasteur :
Vous êtes-vous déjà posé cette question : de quoi est faite ma vie ?
Si je la compare à une carte de géographie, j’y discerne des étendues lumineuses et fertiles, mais aussi des surfaces arides et obscures dont je n’ai peut-être  pas très envie de parler.
J’y vois des ruisseaux désaltérants, mais aussi des eaux plus menaçantes.
Il m’est difficile d’avoir une vue d’ensemble, cohérente de ma vie.
Parfois j’ai l’impression qu’elle n’est qu’un oasis de bonheur – ça baigne dirait-on aujourd’hui – d’autrefois tout me contrarie : je ne vois qu’un désert aride.
C’est troublant : la vie passe, et elle prend des visages différents.
Est-ce normal ? Puis-je vivre l’ensemble de ma vie en relation avec Dieu ?

L’Ecclésiate, ce sage de l’Ancien Testament, que nous venons d’écouter dit :
« Il y a un temps pour tout et une opportunité pour chaque chose sous le ciel »
Il y a un temps pour tout : L’Ecclésiaste est-il fataliste ? Vient-il me dire que de toute façon il y a un ordre des choses auquel je dois me résigner.
Du genre : quand j’étais jeune j’aimais bien danser, mais il y a un temps pour tout.
Non ; de manière intéressante, ce sage distingue le temps comme durée auquel je ne peux rien changer, du temps comme opportunité à saisir ; et là, je suis libre de saisir ce temps ou de le laisser passer :
il y a par exemple l’heure pour parler et l’heure de se taire,
l’heure pour enfanter et l’heure pour mourir,
l’heure pour pleurer et l’heure de rire
l’heure d’embrasser et celle d’éviter d’embrasser etc.
Le sage ne porte  pas de jugement de valeur sur ces différents temps de la vie : il constate seulement ; il voit qu’il y a même une opportunité  pour haïr à côté de l’heure d’aimer.
Ce croyant, cet homme, ce sage a en effet constaté que notre vie n’est pas uniforme, qu’elle n’est pas faite que d’une sorte de temps, mais qu’elle est faite d’heures, d’opportunités opposées ;
et dans le chapitre que nous avons lu, il en fait la liste de tous ces temps ;
et cela donne une série de 14 couples de temps opposés par lequel l’auteur veut recouvrir la totalité de l’existence humaine.
Cela commence par l’heure d’enfanter et cela se termine positivement par l’heure de la paix.
C’est une vision positive de la vie.
En dressant cette liste, c’est comme si le sage nous disait :
Mais qu’est-ce que la vie est riche d’opportunités différentes à saisir !
14 couple d’heures opposées, cela fait 28 temps différents, et le chiffre est probablement symbolique : 28, c’est 4 X 7 ; 7, le chiffre qui symbolise déjà la plénitude dans les Ecritures.

Parfois nous imaginons que la plénitude, c’est seulement une certaine sorte de temps, le temps de gagner, le temps de la pleine santé.
Et voilà que le sage nous montre un autre visage de la plénitude : pouvoir combiner des temps différents, opposés et que cela débouche sur la paix.
Parfois comme chrétiens, nous avons la tentation de ne reconnaître la présence de Dieu que dans les temps de joie et de succès, dans les régions agréables de notre vie. Et si elle se met à trembler, à craquer, à demander un réajustement, nous nous croyons abandonnés de Dieu, oubliés.
Et si nous étions mystérieusement conduits et accompagnés même dans les temps de perte, de déconstruction ?

A sa manière l’Ecclésiaste nous rassure. Il nous rassure en affirmant que l’être humain tel qu’il est créé par Dieu connaît les larmes comme la jubilation et que c’est ainsi que la vie est conforme à ce qu’il a créé et que cette vie-là est bonne.
Ce qui est bon pour l’être humain, c’est d’accepter de recevoir en cadeau l’heure qui lui est donnée, que ce soit l’heure de rire ou de pleurer ; c’est d’accepter les limites de son état de créature de Dieu.
C’est bien plutôt la nostalgie d’un autre état, celui de Dieu, celui d’être en dehors du temps propre aux humains qui rend la vie amère.
L’Ecclésiaste a trois termes différents en hébreu pour parler du temps : un premier qui parle du temps comme durée, un deuxième qui exprime le temps comme opportunité : l’heure à saisir, et un troisième qui traduit le secret du temps, le sens de l’ensemble qui appartient à Dieu.
L’Ecclésiaste nous invite à accepter nos limites de créatures, à recevoir et à vivre le temps opportun, celui qui nous correspond. Il nous invite à reconnaître la place et le rôle de Dieu et à ne pas nous prendre pour Lui.

De manière intéressante le sage commence sa liste en disant :
il y a une heure pour enfanter et une heure pour mourir.
L’Ecclésiaste fait une place à des temps que nous aurions tendance aujourd’hui à éviter ou à passer sous silence, par exemple le temps du mourir.
Woody Allen, un de nos contemporains, disait : « je n’ai pas peur de mourir, mais je préfère ne pas être là quand cela va arriver ».
C’est exprimé de manière humoristique, mais cela exprime cette tentation de sauter le temps du mourir ; j’aimerai mourir sans m’en rendre compte entend-t- on de plus en plus souvent.
L’Ecclésiaste intègre le temps du mourir ; et contrairement à nos craintes, dans la liste qu’il dresse aucun temps ne supprime le temps qui le précède ou le suit.
L ’être humain n’a pas la maîtrise du projet de Dieu depuis l’heure d’enfanter jusqu’à l’heure de la paix.
Seul Dieu maîtrise la vue d’ensemble, le secret du temps, des différentes opportunités qui nous sont données ; je ne peux que recevoir ces différentes heures.

Le passage que nous avons lu se termine par un acte de confiance en Dieu :
lorsque j’ai l’impression que ma vie n’est faite que d’une sorte de temps : le temps des pleurs, le temps de l’épreuve, je peux me rappeler l’action mystérieuse de Dieu dans ma vie : « et Dieu va rechercher ce qui a disparu ».
Le temps qui a disparu, celui qui est bon pour moi ; l’heure bonne pour moi, l’opportunité à saisir.
Amen

Frère Jean-Daniel Balet :
Syméon, le vieil homme reçoit au creux de ses  bras, un nouveau-né, Jésus. La vie qui commence accueillie par la vie qui se termine. Nous avons tous fait l’expérience de prendre dans nos bras un bébé et de nous sentir inonder par cette vie en plénitude… la vie nouvelle venant réveiller ce qui en nous  s’était « endormi », révéler ce qui en nous était caché. Ce miracle de la vie auquel nous assistons à chaque naissance prend une dimension toute particulière en Jésus.

 En venant au Temple de Jérusalem, présenter leur enfant premier-né, Marie et Joseph accomplissent la Loi et reconnaissent que la vie est un cadeau qui dépasse nos limites humaines.  La vie est don de Dieu, chacune de nos vie est en relation privilégiée avec le Dieu de l’Alliance qui dans l’amour de nos parents, nous a créés et qui nous redit du premier au dernier jour de notre existence : « Tu as de la valeur à mes yeux et je t’aime ».
Début et fin de la vie.

Dans chacune de nos familles, l’accueil d’une naissance et la confrontation à la mort d’un être aimé sont des moments opportuns où Dieu nous parle, où nous pénétrons le mystère de l’existence humaine. La vie et la mort ne sont pas seulement des repères précis qui bornent et inscrivent dans le temps terrestre notre passage ici-bas : ils nous invitent à méditer sur le sens de la vie, ils nous rappellent, parfois cruellement, notre condition fragile et éphémère…C’est également l’occasion favorable pour envisager notre vie et notre mission… ce serait quand même frustrant que tout s’arrête et se perde dans l’immensité du cosmos.

Mettons-nous à l’école de Syméon. L’écriture dit de cet homme pieux, chargé d’années et d’expérience qu’il est juste. La longue vie de Syméon lui a sans doute fait connaître des jours heureux et des heures plus difficiles et pourtant malgré ces difficiles moments de l’existence dont nous parlait l’Ecclésiaste, il s’est établi solidement dans la justice.
Ètre juste – ajusté à la volonté de Dieu – c’est un travail. C’est construire sa vie avec l’aide Dieu et de nos proches sur des valeurs qui ne passent pas : bâtir sa maison sur le roc. Edifier sa vie pour qu’au jour des inévitables combats, difficultés, souffrances, nos fondations tiennent. Le secret de Syméon c’est sa confiance placée en Dieu, la certitude que Dieu est à nos côtés, qu’il soutient nos vies et qu’il est fidèle à sa parole. Comment ne pas penser à tant de catastrophes personnelles ou collectives dues en partie à ce manque de précaution, d’attention, de fidélité dans la construction de nos vies ou de nos lieux de vie. Haïti nous en fournit le douloureux exemple.
Syméon, le juste qui vit dans l’attente de la consolation de son peuple reconnaît dans cet enfant, semblable à tous les enfants du monde, le messie attendu, la promesse de Dieu enfin réalisée. Au terme de sa vie terrestre, Syméon, avec le regard de la foi perçoit cette lumière qu’apporte Jésus. Une lumière qui nous ouvre un chemin vers la vie éternelle. Cette lumière de Jésus dissipe toute nos craintes, toutes nos peurs car Dieu est avec nous. Dieu ne nous a pas abandonné, il a envoyé son Fils pour venir nous prendre avec lui et nous conduire au Père, pour nous sauver.
Comment accueillir, frères et sœurs, cette lumière, cette présence ? Je me souviens de la réponse lumineuse de sœur Emmanuelle aux jeunes de Genève : « Fends le cœur de l’homme, tu y découvriras un soleil ».

Joseph et Marie, dans la plus grande humilité montent au Temple de Jérusalem pour accomplir le rite de la présentation de l’enfant au Seigneur ; Siméon poussé par l’Esprit monte également au temple. Contraste saisissant : le gigantisme, la solidité, la  solennité du Temple ; la petitesse, la fragilité, la discrétion de l’enfant-Dieu. Le cœur du vieillard Siméon bat à l’unisson du cœur de Jésus. Cet événement intime et si discret change la face du monde. Dieu en prenant la respiration des hommes vient nous communiquer la respiration de Dieu. Ouvrons nos bras pour accueillir le salut que Jésus, par sa naissance au milieu de nous, par sa vie d’homme au milieu des hommes, par sa prédication de la Bonne Nouvelle, par le don de sa propre vie et par sa Résurrection vient nous offrir.
Véritable rencontre entre Siméon et Jésus : Siméon offre toute sa vie dans une confiance totale  et Jésus lui fait le don de la paix et de la vie éternelle. Salut offert à tous les peuples, lumière pour éclairer toutes les nations. Ici à l’hôpital, c’est au service de cette paix et de cette espérance en la vie plus forte que la mort que nous accomplissons notre mission d’aumônier. Travail discret, intime au service de la personne humaine, au service de la vie que la mort transforme mais ne détruit pas.

 

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